Il pleut sur Paris. Sur le boulevard Voltaire se succèdent camionnettes et morceaux de cortège épars. Les seules traces de couleurs sont ces ballons rouge, rose ou bleu aux couleurs des syndicats qui se dessinent sur le ciel gris. Ce vendredi 1er mai se tenait vaillamment la traditionnelle marche unitaire pour célébrer la fête du travail.
Seulement, d’unitaire, la marche n’avait que le nom. En effet, la participation ne devait sans doute pas sa baisse qu’à la pluie battante. Alors que CGT, Solidaires, UNSA et autres CNT défilaient ensemble entre République et Bastille, la CFDT organisait elle, un rassemblement dédié aux “jeunes” au seuil de la capitale. Ce mouvement syndical divisé n’a fait que confirmer un constat évident : le syndicalisme est en crise. Le 1er mai ne fédère plus autant qu’avant, en tous cas hors des rangs du FN et sa célébration de Jeanne D’Arc.
MARCHE UNITAIRE
“Le syndicalisme n’est pas faible : la force y est mais pas la politique”
Un arrêt à République, le temps de se fondre une heure et demie dans le cortège parmi les syndicalistes. Malgré une météo maussade, la ferveur est au rendez-vous, celle d’un 1er Mai qui se veut unifié et revendicateur.
André, 59 ans, PTT – CGT
Pour André, le 1er Mai n’est pas une première. Syndiqué, il s’est tourné vers la CGT qu’il juge toujours aujourd’hui « plus combattive ».
« Le 1er mai prouve que le travail est revendicatif, sinon c’est de l’esclavage. Les travailleurs ne doivent pas être subordonnés à l’employeur. » Et surtout, « il est nécessaire de vivre de son travail décemment ». André affirme que les conditions de vie et de travail se sont empirées, faisant notamment référence aux emplois précaires ainsi qu’au niveau de salaire trop bas comparé à l’effort. “L’homme est fait pour travailler ou pour vivre ? » pose-t-il rhétoriquement. Avant de répondre : « Un travail pour vivre oui, mais on ne vit pas pour travailler : on pourrait avoir deux salaires : un du patron, un de l’Etat ».
Quant au gouvernement, « il ne fait pas une politique de gauche » comparé à celui des années 1980 qui a accompagné l’augmentation des salaires, la relance et la retraite à 60 ans. Aujourd’hui, la répartition des richesses est selon lui injuste, « quelle utilité Liliane Bettencourt trouve-t-elle dans ses 17 milliards d’euros ? ; il faut que les riches investissent ». Une meilleure répartition des richesses, voilà ce que propose la CGT, quand la CFDT part du principe qu’il n’y a pas de ressources financières.
Le syndicalisme n’est-il pas finalement trop faible dans tout ça ? « Ce n’est pas qu’il est faible, la CGT compte 600 000 syndiqués, la force morale y est mais celle de la politique est absente. Il faut absolument resouder les syndicats. »
Coralie, 29 ans, travailleuse associative – Solidaires
Cela fait trois ans que Coralie est syndiquée et quelques années déjà qu’elle manifeste pour le 1er mai. Elle se déplace en ce vendredi pluvieux car selon elle, si le 1er mai est un symbole, il n’en reste pas moins qu’il existe « toujours des droits à revendiquer pour protéger les salariés et les représenter ». Et d’ajouter : « surtout en ce moment avec la loi Macron qui veut faciliter le licenciement et ne va ainsi pas dans le sens des salariés ».
La loi Macron est devenue le symbole d’une division syndicale de plus en plus prégnante. Une division qui s’explique selon elle, par des « divisions de fond importantes certes, mais également par une importante désespérance sociale ; nous ne sommes plus là pour la pensée unique ».
Et quel avenir pour le syndicalisme ? “A Solidaires c’est bien ! Aujourd’hui, le monde n’est pas pérenne, il faudra un jour sans doute changer de système”
Chantal, 53 ans – Union Nationale des Syndicats Autonomes (UNSA)
Chantal côtoie depuis trois ans le syndicat UNSA, vendredi dernier fut également son premier 1er mai. La fête du travail est pour elle « la date d’anniversaire de la première manifestation aux Etats-Unis ».
Pour cette adepte de l’engagement et du militantisme – elle a été notamment élue des parents d’élève – “on est dans un vrai virage, au niveau de toute la représentation des métiers et du travail, avec des mutations profondes qu’il faut accompagner. Et la puissance des syndicats doit se trouver dans l’accompagnement de ces mutations ».
Cependant, elle déplore l’essoufflement du mouvement syndical :
« Les syndicats se trouvent malheureusement en perte de vitesse notamment due par la perte de culture du « vivre ensemble », l’individualisme est devenu omniprésent. Il faut que les syndicats existent car ils marquent une force d’opposition et de proposition. Il faut aussi que les droits des travailleurs progressent dans d’autres pays. En France, la division syndicale est malheureuse. Ce sont les troubles politiques qui troublent les différences syndicales. Mais j’ai beaucoup d’espoir et les syndicats ont intérêt à travailler ensemble malgré leurs différences de cultures ».
« Le 1er mai doit être réellement unitaire, rassembler les générations, les secteurs, le public le privé. La valeur du travail doit avoir toute sa place dans notre société »
Thomas et Kévin, 18 ans, lycéens – Syndicat Général des Lycéens (SGL)
Parmi les nombreux manifestants, nous avons croisé le chemin de lycéens engagés au Syndicat Général des Lycéens (SGL). Pour l’un d’entre eux, Thomas, « le 1er mai est avant tout la fête des syndicats ». Aujourd’hui, il se rend donc à République pour manifester en tant que lycéen syndicaliste. « C’est un des premiers jours fériés de l’histoire et on se doit de perpétuer cette fête. Il s’agit d’une tradition mais c’est aussi un acte citoyen », ajoute-t-il.
Kevin rejoint la conversation. Il a décidé de participer au cortège car « le 1er mai est une fête pour célébrer le travail. Il faut montrer que le travail est important pour chaque français. Surtout quand on voit la courbe du chômage qui augmente. » Et d’ajouter, plus politique, « on doit faire en sorte que le travail devienne à nouveau la priorité de François Hollande. Il mène des politiques dont on ne voit pas vraiment le résultat. Donc, en tant que jeunes, on vient manifester pour dire qu’on est inquiets, on a nos anciens qui sont aussi inquiets pour leur avenir. Cette marche est toute une symbolique. »
Kevin a ainsi « toujours perçu le 1er mai comme une fête où malgré les différences, tous les syndicats se rassemblent pour célébrer les travailleurs ». Thomas explique alors leur démarche en tant que jeunes : « Notre rôle de syndicat et de jeunes c’est de symboliser la relève. Le syndicalisme n’est pas mort, il faut remobiliser les gens et de les sensibiliser aux questions politiques actuelles. »
« La CFDT qui organise un rassemblement à part pour les jeunes, ça fait mal au cœur » conclut Kevin.
Historiquement, les deux syndicats majoritaires que sont la Confédération Générale du Travail (CGT) et la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) sont en désaccord. Alors que la première est révolutionnaire, la seconde est réformiste. Mais le vote de la loi Macron n’a fait que cristalliser ces conflits inter-syndicaux. La CGT soutenue par plusieurs autres organisations syndicales, accuse notamment la CFDT d’être “du côté des patrons” en acceptant de signer des accords qui visent à libéraliser le marché du travail. Ainsi, si depuis plusieurs années, le 1er mai est l’incarnation de divisions, celles-ci ont été d’autant plus marquées vendredi dernier.
WORKING TIME FESTIVAL
“On a voulu organiser cet événement pour casser l’image du syndicalisme”
Loin des boulevards parisiens, dans les locaux de l’INSEP au milieu du Bois de Vincennes, la CFDT a organisé son propre rassemblement. C’est la première édition du Working Time Festival (WTF) destiné aux jeunes, dans le but de “déringardiser le syndicalisme”. Sous l’acronyme éloquent, se cache une véritable stratégie de communication : tables rondes, activités, concerts… le WTF a (sans doute un peu trop) tout pour plaire.
Amadis, Secrétaire de section CFDT au Ministère du Travail
Ce n’est pas la première fois qu’Adamis se mobilise pour le 1er mai. Pour lui c’est avant-tout un symbole plutôt qu’un événement pleinement revendicatif.
“C’est important de se mobiliser tous les ans. J’ai déjà été à la manif’ unitaire mais plus pour des raisons politiques que syndicales. Cette année, j’ai trouvé que le WTF était un événement cool, pour les jeunes notamment. Vu l’ambiance en ce moment entre syndicats, ce n’est peut-être pas plus mal de faire des trucs séparés.
– Même pour le 1er mai ?
– Il n’y a pas d’unité dans les faits, la CGT ne signe rien du tout et demande des choses irréalistes. Elle n’est pas constructive alors qu’à la CFDT on a une culture du compromis. L’unité pour un jour, ça ne sert à rien.”
Lauric, 43 ans, postier
C’est le premier 1er mai de Lauric. Syndiqué depuis peu, il a accepté d’être bénévole au Working Time Festival.
“Le 1er mai est à l’origine un rassemblement de gens qui pensaient que c’était important d’avoir un engagement dans l’entreprise pour fêter le travail. C’est pour ça que la CFDT a voulu organiser cet événement pour les jeunes, pour casser l’image du syndicalisme.
– Ça n’est pas possible en allant à la marche unitaire ?
– Je ne pense pas que les jeunes auraient été à l’aise dans un autre endroit comme la marche unitaire. Cette marche, ce n’est pas ma vision du syndicalisme. On est passé à une autre phase où on a envie d’autre chose. Là, on a la possibilité de participer, réfléchir, et s’ouvrir. Pour moi, c’est important de transmettre. Et ce qui m’intéresse dans le syndicalisme c’est de pouvoir créer de la pensée collective dans le monde du travail. On est dans une démarche du développement durable : on pense à là où on est actuellement et ce qu’on peut construire et faire fructifier.”
Laurie et quatre de ses amis, lycéens à La Rochelle
Arborant fièrement leurs chaussettes orange flanquées du logo CFDT, les cinq lycéens ont l’air un peu perdu. Et quand on leur pose la question de savoir ce que représente le 1er mai pour eux, ils répondent avec gêne.
“Euh.. je crois qu’on est les mauvaises personnes à interroger. On est venus parce que son père travaille à la CFDT et que le voyage était entièrement gratuit. Là, on cherche les navettes pour le retour”
Le WTF a attiré environ 2000 jeunes dans les locaux de l’INSEP. Cependant, malgré ce petit succès une évidente constatation s’impose : “casser l’image du syndicalisme” nécessite d’abord d’intéresser au syndicalisme. Au risque de disparaître au profit des discours populistes.
RASSEMBLEMENT DU FRONT NATIONAL
“Les syndicats sont complètement décrochés de la réalité, ils sont pieds et mains liées avec les patrons”
Célébrant comme chaque année Jeanne d’Arc, le Front National a tenu sa traditionnelle marche au coeur de Paris. Arrivé place des Pyramides, le cortège semble dispersé même s’il laisse présager une certaine affluence. Les délégations des départements défilent, arborant fièrement drapeaux régionaux et banderoles aux numéros départementaux.
Le cortège s’arrête un peu plus loin. Rassemblés place de l’Opéra, où Marine Le Pen tient un discours vers midi, les militants venus de la France entière sont impatients et attentifs. Les drapeaux flottent, les slogans fusent : “on est chez nous”, “ni droite, ni gauche, Front National”, “Marine Présidente”.
Nous interrogeons quelques militants, la plupart viennent de loin. Tous sont ici pour manifester leur soutien au FN et au renouveau de Marine Le Pen, loin de revendiquer de réels droits pour les travailleurs en ce jour de fête du travail. Ou plutôt, comme si le Front National était l’unique et la seule réponse possible au marasme que vivent quotidiennement les travailleurs.
Antoine 18 ans et Maxime 23 ans, étudiants, militants FNJ
C’est la première fois qu’Antoine et Maxime manifestent un 1er mai. Venant des Côtes d’Armor, ils sont venus avec le FNJ, l’organisme de jeunesse du Front National. Étudiants, ils ne connaissent pas encore le marché du travail de l’intérieur, mais considèrent que les syndicats ne représentent plus l’esprit du 1er mai, à l’image de Maxime en fac d’histoire : “Les syndicats sont complètement décrochés de la réalité, ils sont pieds et mains liées avec les patrons. À chaque fois, qu’il y a eu des choses avec le gouvernement, ils ont signé”.
Être rassemblés autour du FN le jour de la fête du travail fait alors sens : la France et le patriotisme économique paraissent les seules solutions des travailleurs pour lutter contre “la concurrence déloyale” des autres pays européens. Le 1er mai, ce n’est plus le syndicalisme mais l’exaltation du travail à travers la “priorité nationale”. Maxime insiste.
“Le 1er mai c’est le symbole de la France. C’est la fête du travail, aujourd’hui il y a des millions de chômeurs et nous sommes là pour montrer qu’il faut lutter contre le chômage”
La division entre les syndicats permet au FN, par une base militante unie et convaincue, de se poster comme une force de réponse au marasme économique subi par les travailleurs de nos jours. Ce qui se traduit notamment par le basculement du vote ouvrier de la gauche vers le vote FN.
Un militant déclarait : « Les syndicats ne représentent plus grand chose car ils sont pour l’immigration alors que l’immigration pèse sur les salaires. Justement, en faisant venir en France des gens sans compétences, ils vont forcément prendre des salaires minimums plus bas que ceux des français »
Le discours de Marine Le Pen illustre bien la politisation de la journée du 1er mai. Partant d’un hommage à Jeanne d’Arc, la présidente du Front National en vient à parler des travailleurs, des ouvriers, des Français, de l’Europe, des dangers qui pèsent sur les travailleurs, de ce avec quoi il faut rompre pour sortir de cette mauvaise passe. Le discours s’achève alors, Marine Le Pen est acclamée par la foule, les applaudissements sont nourris.
Finalement, au regard de ce 1er mai particulier, les syndicats n’ont alors plus le monopole de la fête du travail : au contraire de certaines organisations, il ne peuvent apporter des réponses plus politiques aux travailleurs.
Les liens entre le FN et les syndicats demeurent tendus et distancés, comme l’illustre le discours d’une militante rencontrée dans la foule après la discours de Marine Le Pen : « Aujourd’hui autant le Front National représente 30% des français, autant les syndicats représentent 3% des français. Ce sont les syndicats qui excluent les militants. Quand un ancien militant de la CGT vient chez nous, il est exclu systématiquement »
Ces brefs portraits parlent d’eux-mêmes. Très politisé, ce 1er mai 2015 s’inscrit néanmoins dans la lignée des précédents : il est avant tout un symbole. Jour férié, il subsiste, propice au rassemblement autour des valeurs du travail et de la solidarité. Au delà même, il offre une occasion de mobilisation face au désarroi de la situation économique actuelle.
Le consensus du constat alarmant n’empêche malheureusement pas une cristallisation des conflits intersyndicaux. Les divisions traditionnelles se transforment en véritables oppositions tant sur la forme que sur le fond : entre réformisme pragmatique et mobilisations farouchement revendicatrices, l’essence du syndicalisme se trouve heurtée de tant de dissonances.
Le “syndicalisme fantôme” semble aujourd’hui réalité. Quand seulement 7% des travailleurs se syndiquent, quand le FN ne cesse de progresser aux élections, quand les jeunes oublient que les acquis sociaux sont le résultats de combats passionnés, le 1er mai devient le reflet d’une société où le symbole n’est plus qu’une finalité.
Margot Araque, Steve Domer et Marie Zafimehy
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