IL BEL PAESE
Remontons le temps ensemble, de six ans précisément. Dans la nuit du 6 avril 2009. L’Italie s’est endormie sur ses deux oreilles, chacun a la conscience tranquille, bref, la botte italienne est bien dans ses baskets. Mais personne ne se doute que la ville de L’Aquila, dans la région montagneuse des Abruzzes au centre de l’Italie, est sur le point de subir le plus grave tremblement de terre du pays depuis celui d’Irpinia en 1980. Il est très exactement 3h32, heure locale, lorsque le sol commence à trembler.
Un séisme qui coûtera leur vie à 308 personnes et qui en démunira plus de 30 000. Un bilan tristement lourd, sans évoquer les dégâts matériels ainsi que le véritable parcours moral que les survivants doivent affronter encore aujourd’hui.
Radio Londres vous propose de découvrir une ville dont le centre historique est devenu fantôme, vidé de toute vie et où les murmures résonnent. Une ville atteinte des mêmes symptômes que les pays en guerre : l’exode et les bombardements. En fin de compte, les conséquences de cette catastrophe naturelle y sont similaires et toutes aussi difficiles.
È STATO TERRIBILE
Quand on habite L’Aquila ou ses alentours, on est au courant que la région est sujette à d’occasionnels troubles sismiques. Au fil des siècles, la ville de l’aigle et de l’eau implantée au coeur des Abruzzes, une région montagneuse et rurale du centre de l’Italie, a connu une multitude de séismes. Certains ont été doux, inoffensifs, parfois même à la limite du réel mouvement ou secousse, tandis que d’autres ont été destructeurs et tragiquement meurtriers.
C’est le cas de celui de 2009, que tous les Italiens ont encore en tête. Survenu au milieu de la nuit du 6 avril, il y a tout juste six ans, le dernier tremblement de terre survenu à L’Aquila n’a pas été anticipé. S’ils sont nombreux à y avoir survécu, d’autres ont été moins chanceux. On compte 308 personnes ayant perdu la vie cette nuit là, parmi eux des Italiens bien sûr, mais pas que. Des Roumains, Macédoniens, Tchèques, Palestiniens, Grecs, Argentins, Israéliens et Ukrainiens sont aussi à déplorer, ainsi qu’un Français. Au lever du jour, 25 000 personnes se retrouvent sans abris selon les premières estimations, et sont contraintes de quitter la région. Les lignes téléphoniques sont HS, les coupures d’électricité incessantes. Les Aquilani viennent de subir ce qui semble être l’un des pires tremblements de terre de leur histoire.
La nuit du drame, les autoroutes reliant L’Aquila au reste du pays n’ont pas été épargnées par le tremblement : la majeure partie des axes principaux ont été endommagés et se retrouvent impraticables. Les secours appelés en renforts sont donc contraints d’emprunter les routes de campagne sinueuses, contraignants leurs collègues locaux, surchargés, à tenir plusieurs heures sans aide supplémentaire. Aujourd’hui les routes sont à nouveau empruntables, mais la ville en elle-même est encore loin de se relever. Lorsque l’on entre dans l’agglomération de L’Aquila, tout paraît normal, mais il suffit d’ouvrir l’oeil pour remarquer, en quelques instants, que le paysage est en quasi-totalité dénaturalisé et recomposé de chantiers inachevés.
En quelques minutes seulement, en s’enfonçant un peu plus dans la ville, le constat est bouleversant. Les immeubles se confondent parmi les grues et les échafaudages.
Entre les reconstructions et quelques terrains vagues qui remplacent des bâtiments démolis car jugés trop instables, on peut aussi être confronté à des immeubles qui laisseraient presque croire à des scènes de guerre, théâtres de combats et de destruction. Bien qu’ici personne n’ait demandé quoi que ce soit, la nature, elle, n’a rien voulu savoir. Cette ville n’a pas connu de bombardements, seulement des secousses sismiques.
MI MANCANO I MILITARI
Après les événements, le centre de L’Aquila a été fermé au public et sous contrôle militaire. Même si, plus tard, les riverains ont été autorisés à repasser chez eux pour récupérer des affaires (le nécessaire), la visite de leur domicile post-séisme n’a pu se faire qu’en présence des pompiers, pour d’évidentes raisons de sécurité. Aujourd’hui le centre ville est vide, ou presque. Dans les artères, on croise facilement des locaux qui se promènent le long des grandes rues, qui repeuplent la célèbre place du marché ou qui se détendent à la terrasse des rares cafés qui ont tenu le coup. Mais dans les veines, c’est autre chose. Les rues sont désertes, et d’un calme quelque peu perturbant.
Afin de maintenir les bâtiments endommagés et potentiellement instables, les pompiers ont installé un peu partout des sortes de fixations métalliques reprenant leur forme originelle.
En périphérie, là où il est possible de démolir et de reconstruire, des systèmes de compensation de poids ont été installés sur les bâtiments neufs pour éviter que ceux-là ne soient trop abimés au cas où un nouveau séisme surviendrait.
Dans le centre historique de la ville, les rues sont parfois trop étroites à cause des barrières ou des bâches de sécurité, alors seuls les piétons peuvent y circuler. Même si la couleur est encore présente dans de nombreuses rues, la poussière et les décombres lui font concurrence.
Malgré les importantes pertes humaines, matérielles et financières, les locaux ont su garder l’esprit de solidarité pendant et après la venue de l’armée, déployée dans la ville pour sécuriser et surveiller les quartiers dangereux, fermés aux passants comme aux riverains. La présence marquée des secours a été saluée partout dans la ville, par des hommages en graffitis comme par la signature de chaque compagnie de pompiers venus de toute l’Italie.
Peu de temps après le départ de l’armée, de très nombreux bâtiments ont été honteusement pillés, et certains transformés en squats. En effet, la nuit du séisme, tout le monde a du évacuer le centre ville en emportant le strict nécessaire et en laissant presque tout derrière soit. Afin de stopper ce triste phénomène, bien que de nombreux lieux soient encore inaccessibles, les autorités ont cadenassé les portes de la quasi totalité des bâtiments du centre, un quartier où la vie s’est arrêtée du jour au lendemain…
LA NUOVA POMPEI
S’avancer dans les petites rues du centre ville, c’est découvrir un autre univers. Mettre les pieds là où des gens comme nous y ont laissé la vie, et où d’autres ont tout perdu. Le silence témoigne de l’horreur passée. Dans les quartiers du centre, une minorité de personnes a choisi de revenir. La plupart ont refait leur vie, ailleurs en Italie, d’autres ont simplement trop peur de revivre un jour ce qu’ils ont subi la nuit du 6 avril 2009.
« Depuis le tremblement de terre, je n’ai jamais voulu retourner à la maison. Simone [son épouse] y est allée, mais moi non, je ne veux pas. Je ne veux pas voir ce que la ville où j’ai toujours vécu est devenue. »
(Augusto, 90 ans, relogé après le séisme)
On peut comprendre qu’il soit difficile de revenir vivre dans un quartier où l’immeuble d’en face est en ruines et où tous les commerces ont été déplacés dans la périphérie, au même titres que les écoles et les hôpitaux.
« J’étais ici à l’école, à l’époque. Tout à été déplacé, maintenant il n’y a plus rien. »
me dit Danilo. S’en suit un long silence d’émotion…
RICOSTRUZIONE DEL TRICOLORE
Au lendemain du séisme, Silvio Berlusconi, alors Président du Conseil, déclare que l’Italie saura s’en sortir par elle-même bien que plus de 30 pays aient proposé leur aide. Effectivement, la venue de secouristes étrangers aurait causé des problèmes d’organisation, ce que le gouvernement italien a préféré éviter. En revanche, Silvio Berlusconi a assuré qu’aucune aide financière ne serait refusée, et ce afin de restaurer les nombreux monuments historiques endommagés lors du tremblement – rappelons que l’Italie représente le premier patrimoine artistique au monde.
De nombreux pays apporteront donc une contribution financière à la reconstruction de la ville. Les Etats-Unis par exemple ont débloqué une aide d’urgence de 50 000 $, la Russie a entièrement financé la restauration du Palazzo Ardinghelli pour un total de 8 millions d’euros, et l’Espagne a accepté le financement de la restauration du Forte Spagnolo, un fort dressé sur par l’occupant espagnol sur les hauteurs de la ville lors de la Renaissance. Pour ce qui est de la France, le Gouvernement a accepté de financer la reconstruction de l’église Santa Maria del Suffragio.
Selon les officiels, il faudra une vingtaine d’années pour reconstruire L’Aquila. Mais l’estimation est loin d’être la même pour les locaux, qui affirment que pas moins de 60 ans seront nécessaire à la remise à neuf complète de la ville. Et ce pour une raison simple : pas passez d’argent.
Chaque année depuis 2009, un budget spécifique est consacré aux travaux de restauration de la ville. Et chaque année, le budget est trop faible. Quand les fonds sont versés les travaux reprennent, et quand on ne peut plus payer les entreprises et les ouvriers, les chantiers sont désertés. L’Aquila se retrouve donc otage d’un paysage jonché de grues, de bâches et de grilles qui masquent l’horizon enneigé des montagnes qui l’encerclent.
LA VITA È BELLA
Aujourd’hui la vie reprend, à petit feu. De nombreux édifices sont à moitié debout, beaucoup d’immeubles sont vides et le silence a reprit ses droits. Le centre historique de la ville est déserté, presque vide de toute vie.
Il est difficile de se mettre dans la peau de ceux qui étaient là lorsque le sol se mit à trembler, que les pierres sont tombées et que tous ont crié. Mais se rendre dans ce même endroit, marcher dans ces rues si silencieuses vous fera ressentir une étrange sensation : une émotion toute particulière, mélange de panique et de démesure. Bien que la reconstruction sera longue, que beaucoup sont partis dans d’autres villes, ou hélas dans d’autres cieux, les Italiens n’oublieront jamais cette nuit du 6 avril 2009. Mais il faut bien que la vie continue. Et ici comme ailleurs, on tourne la page pour rendre L’Aquila plus forte qu’elle ne l’était.
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