Fortes de 2000 participants, les Journées d’été d’EELV se sont ouvertes ce 20 août à Villeneuve d’Ascq, dans la banlieue Lilloise, avec dans le viseur les régionales et la COP 21. Pourtant, loin des frasques médiatiques de ses leaders nationaux, EELV est avant tout une histoire de militants. Le temps de ces quelques journées, nous leur avons donné la parole.
Des soupirs et des yeux vers le ciel à la lecture de la Une de ce Libération du 20 Août : « À quoi servent les écolos ? ». C’est dans un contexte délicat que s’ouvrent les Journées d’Eté 2015 d’Europe Ecologie-Les Verts à Villeneuve d’Ascq, dans le Nord-Pas-de-Calais. Peut-on croire ce que dit la presse, que le parti se sclérose, qu’il est « au bord de l’implosion » comme on peut le lire chez Libé ? C’est pourtant un tout autre visage que nous ont montré les militants EELV. Si ceux-ci sont conscients d’un certain manque de crédibilité et d’un jeu d’alliances incertain, c’est d’optimisme et d’espoir dont on nous a parlé. Loin des projecteurs, paroles de militants.
C’est quoi un projet écologiste ?
Le discours écolo, c’est surtout un discours incompris. Trop technique ou au contraire, trop évasif ? On a demandé à Enzo Poultreniez, militant EELV depuis 6 ans, sa vision des choses. Enfant de la génération « 11 septembre, 21 avril », passé par le PS, il atterrit chez EELV en 2009, non pas que son engagement ait été particulièrement écolo, mais parce qu’il y a trouvé un discours alternatif, différent de celui « déconnecté et hors-sol » du Parti Socialiste. « L’écologie, c’est pas que les petits oiseaux ou la réintroduction de la loutre dans le Nord-Pas de Calais, c’est véritablement plus que ça », nous dit-il. « Historiquement, les écolos sont précurseurs sur les questions de société ». Pour l’anecdote, il nous rappelle le mariage de Bègles en 2004, lorsque Noel Mamère avait marié 2 homosexuels, ce qui avait créé une polémique d’ordre national. « Les Verts étaient le seul parti à se positionner sur le droit aux personnes de même sexe à se marier ». Mais quelle est la corrélation entre l’égalité des droits et le discours écolo ? « Tout simplement, parce que l’on a compris que pour faire une société apaisée où chacun a sa place, il est primordial de ne laisser personne sur le bas côté ». L’un des messages sous-entendus de l’écologie politique est donc une logique inclusive où le collectif et l’addition des individualités est plus forte que leur simple somme : « Comment demander aux gens de faire des efforts pour le climat si on ne les reconnaît pas dans leurs droits individuels ? ». Parité, féminisme, égalité des droits, rapports Nord-Sud, non-productivisme, EELV reste un parti altermondialiste : « On a un projet global, de la loutre aux gays en passant par l’ouvrier, on a une cohérence dans notre discours ».
En oublierait-on l’écologie pour autant ? « L’écologie, ça n’est pas que de l’environnementalisme ». On a demandé à Lucie, 24 ans, engagée depuis 3 ans chez les Jeunes Ecologistes. « L’environnementalisme, c’est se soucier de la nature, de la biodiversité, des énergies, de la protection de la faune et la flore. Alors que l’écologie politique est un projet global qui comprend une vision environnementaliste très ample mais qui inclut également le social, l’économie, c’est beaucoup tourné vers l’humain ». Depuis, quelques années, EELV n’a plus le monopole de l’écologie. Le FN a créé Nouvelle Ecologie, un collectif qui tente de verdir sa flamme. De même, les Républicains comptent parmi eux Maud Fontenoy qui prône une écologie libérale. Le discours écolo serait-il devenu un argument clientéliste ? Pas pour Lucie : « On ne peut pas être écologiste sans être de gauche. L’écologie de droite, c’est de l’environnementalisme. Mais c’est très bien que les autres partis s’en soucient ».
Un engagement humain ?
Si EELV fait la une de l’actualité, c’est plus pour les frasques et les tambouilles politiques de ses quelques leaders qui se comptent sur les doigts d’une main (aucun nom ne sera dévoilé…). Pour Enzo, EELV, c’est une histoire de militants : « Le Parti, il est ici, sur le terrain au quotidien et pas seulement dans les institutions. Ce sont les 2000 personnes qui s’inscrivent, qui vont bosser dans des ateliers et dans des plénières géniales qui montrent qu’on est attractifs ». On s’est alors demandés ce qui faisait l’originalité du militantisme vert. Pourquoi et comment s’exprime l’engagement dans le parti écologiste de France ? Quels sont ses caractéristiques, son impact et son esprit ?
En se dirigeant vers le stand des Jeunes Ecologistes, on croit entendre le générique de la série Game Of Thrones. Connus pour leurs happenings décalés et loufoques, les voici tous en cercle, tenant dans leurs mains une affiche. « OGM, nucléaire, obsolescence programmée », chacun incarne un des travers du capitalisme. « Derrière le mur, se cachent des ennemis qui menacent le climat ». Alors que la musique retentit, tous s’avancent et font tomber une construction de bois, censée représenter le climat. C’est alors que d’autres JE surgissent, brandissant banderoles et pancartes, scandant slogans et chansons. Si on les a connus plus inspirés, l’initiative a le mérite de dessiner quelques sourires chez les militants. La référence à la série de HBO est également sur leurs t-shirts, où l’on devine la devise des Stark : « Climate Change is Coming ». Quels meilleurs ambassadeurs que les Jeunes Ecologistes pour nous parler d’engagement ?
On a posé quelques questions à Johan, militant chez les JE depuis 2 ans. Il a 26 ans et est encarté chez EELV. « Les Jeunes Ecolos, c’est le mouvement de jeunesse de l’écologie politique. On essaye de promouvoir l’écologie chez les jeunes et les citoyens. Tous les jours, on essaye de s’ouvrir un peu plus. On fait beaucoup d’actions de rue, sur le terrain et pas qu’en temps de campagne. Ce qui fait notre différence, c’est que l’on ne s’occupe pas de leurs tambouilles internes, des motions. On a une charte d’autonomie solidaire entre le parti et notre mouvement. ». Il déplore cependant le désintérêt porté à l’écologie politique en France : « à la différence d’un meeting de Sarkozy, un meeting d’Emmanuelle Cosse, personne ne le regarde. On est à l’image de ce que pèse l’écologie politique en France, on n’est pas au top niveau ». Comment s’explique alors son engagement ? « On fait des happenings, de la formation populaire, on a plein de façons différentes de participer au débat public ! ». Pour Lucie, les JE sont « créatifs, cools et dynamiques. On est surtout beaucoup plus marrants ! Notre base militante est très active par rapport à nos adhérents. Mais notre force principale, c’est notre créativité, on lâche la bride à notre imagination ». Souvent peu habillés, presque timbrés, les JE optent pour un ton désinvolte, teinté d’humour et d’autodérision : « on peut se moquer de nous certes, mais on se sent beaucoup plus libres et on se fait remarquer, c’est le principal ». Le militantisme vert, c’est un combat pour le climat, mais c’est également une aventure humaine : « je me suis fait beaucoup d’amis chez les JE. En arrivant chez eux, j’ai rencontré des gens avec les mêmes valeurs que moi ».
Le militantisme chez EELV est surtout associatif, mais dans ce parti, « on peut monter très vite, tomber de la même manière et disparaître du paysage médiatique », nous dit François. Adhérent depuis 9 ans, François a 53 ans. Ayant fait la rencontre de Vincent Gazeilles, le seul élu EELV des Hauts-de-Seine en 2006, François trouve chez les Verts « des gens éthiques, écolos au quotidien, avec une cohérence d’idée sans former une secte ». Il grimpe les échelons et devient conseiller municipal à Clamart (Hauts-de-Seine) : « j’en garde un excellent souvenir et une très bonne expérience. J’ai réussi à intégrer plus de 50% de bio dans la restauration scolaire, sans coûts supplémentaires pour les familles ». Il intègre également le cabinet de Dominique Voynet lors de son mandat de maire à Montreuil. Cependant, au-delà de ses convictions, son engagement politique lui a coûté un divorce : « Quand on s’engage à fond, ça a un coût, on ne pense plus qu’à ça ! ». Quant à son entourage, « c’est devenu plus compliqué pour moi que pour eux. Plus je m’engageais en politique, plus je finissais par ne plus penser qu’à ça. Une sorte de monomanie qui m’a éloigné d’eux ».
Le militantisme vert est-il une alternative au militantisme classique ? Il brouille les frontières entre vie privée et publique car cet engagement est total et influe sur la vie quotidienne, comme avec l’exemple de François. Ce militantisme peut s’avérer décourageant ; eu égard aux faibles scores électoraux et avancées sur la question climatique. Les militants écologistes auraient-ils baissé les bras ?
Des militants désabusés ?
L’image du parti se détériore, en partie à cause des médias, qui n’hésitent pas à se lâcher sur EELV. Cet acharnement a tendance à plomber le moral de ces militants. Au détour de nos conversations, on a demandé quelles étaient leurs désillusions : « désillusions ? C’est un grand mot. La politique, c’est du fond, un projet, une idéologie. Et vient ensuite la réalité des enjeux de pouvoir, quand les intérêts personnels prennent le dessus sur le reste. J’appelle ça le réalisme politique », nous dit Enzo. « Ici, aux journées d’été, on a des moments très sympathiques, en totale déconnexion des guerres stériles de quelques leaders nationaux ». Ces tensions internes au parti se sont-elles ressenties lors de ces journées d’été ? « Je vais pas faire ma langue de bois. Je fais partie de ceux qui perdent patience par rapport à quelques comportements, j’en ai absolument ras-le-bol de certaines déclarations ! C’est un microcosme qui est le fruit de personnes déconnectées du terrain et de l’écologie. Il faut avoir un peu d’humilité par rapport au projet écologiste et aux militants. On ne peut pas être dans une position de sachant et de mépris parce qu’on a un mandat électif ! ».
François, lui, est plus en colère que déçu : « je trouve ça hallucinant que Libération se permette de sortir 4 pages sur les JDE sans citer un seul écolo ! Un article en Une sur une Université d’été, ça se fabrique longtemps à l’avance ! Ici, pas d’Emma Cosse, pas de Duflot, ni de Denis Baupin. Au-delà de l’éthique journalistique, si on titre « risque de scission » sans interviewer un seul écolo, ce canard n’a plus vocation à exister, c’est même de la propagande socialiste ». Conscient qu’EELV est en perte de vitesse, il préconise une expulsion des « nuisibles » du parti : « Je pense à titre personnel qu’il faudrait expulser ces personnes nuisibles, tout le monde rigole en les voyant à la télévision. Je ne conteste pas leurs convictions écologiques, mais il serait temps qu’ils se ressaisissent, je ne crois pas que leur place est au gouvernement. Il y a un fossé entre nos militants et nos leaders nationaux, même si je relativise, on peut facilement discuter avec sa secrétaire nationale ». Adhérent de longue date, remarque-t-il une lassitude chez les militants ? « Aujourd’hui, nos militants sont un peu désabusés de ce qu’ils voient dans la presse. Ils s’engagent un peu moins qu’avant … ».
Désenchantés peut être, mais pas désespérés, loin de là. Les militants que nous avons rencontrés sont des gens passionnés, habités par un idéal politique et convaincus de ce dernier, loin des clichés de l’écolo féru de panda et de quinoa. Bien que l’horizon ne soit pas rose pour EELV et que le parti soit dans une phase cruciale de son existence, traversée par de multiples enjeux, ses militants gardent espoir, car leurs convictions vont plus loin que la simple formation politique. C’est aux sages paroles de Johan que revient le mot de la fin : « C’est possible que le parti soit en perte de vitesse, on perd des adhérents, les scores sont ce qu’ils sont mais tout dépend du côté où l’on se place. Des batailles, on en gagne beaucoup, je pense au TAFTA, aux lois sur la transition écologique, je pense qu’on avance. En tout cas, on ne perd pas espoir … Ça, non, pas question ».
Reportage signé Roméo Van Mastrigt pour Radio Londres.
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