C’est LE rendez-vous des socialistes : l’université d’été à La Rochelle. Sur trois jours, des conférences et ateliers sont organisés autour de différents thèmes. Cette année, ce sont surtout les élections régionales et la COP 21 qui ont attiré l’attention. Ambiance et portraits de militants à l’occasion de cette rentrée politique.
C’est dans un contexte difficile que l’université d’été du Parti Socialiste s’est ouverte vendredi 28 août : la veille, les frondeurs se réunissaient à Marennes, Emmanuel Macron tenait des propos largement commentés sur le droit du travail (et notamment les 35 heures), EELV se déchire… Bref, le climat n’est pas des plus sereins pour entamer cette université. D’ailleurs, on aurait presque eu l’impression de se croire à l’université des écologistes tant ils ont occupé le devant de la scène. Il faut dire que deux démissions coup sur coup des présidents du groupe écologiste à l’Assemblée nationale et au Sénat ce n’est pas rien. « C’est un évènement majeur », a commenté Jean-Christophe Cambadélis à l’occasion de la conférence de presse d’ouverture. Il aura d’ailleurs été question d’avantage des Verts et d’Emmanuel Macron que de l’université lors de cette conférence de presse. C’est cette fragmentation que regrette le premier secrétaire général du PS : « Cette fragmentation de la gauche prend des dimensions paroxysmiques chez les écologistes. »
Et à voir les journalistes massés à attendre Emmanuel Cosse, on comprend mieux la déclaration de Jean-Christophe Cambadélis. La secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts était sans nul doute la plus attendue. Venue pour parler de la COP 21, impossible quasiment de ne pas commenter les décisions de François de Rugy et Jean-Vincent Placé de démissionner et quitter le navire vert. « Ils ont choisi des aventures personnelles au moment où l’intérêt collectif aurait dû primer. » La gauche semble ainsi divisée depuis l’extérieur. Ce n’est pourtant pas le point de vue des militants que nous avons rencontré.
La gauche se doit d’être forte
À en croire Hedi Majri, militant depuis 1981, « le PS a encore la capacité de se rassembler. Ce ne sont pas des divisions qui règnent au sein du parti mais plutôt des courants. Ce que nous attendons surtout, c’est une impulsion créative, pour les régionales et pour la suite également. » Ce professeur de philosophie souhaite également que le parti se mette en avant et montre aux citoyens qu’il est en mesure de les rassembler. « Pour cela, nous pouvons compter sur nos partenaires, les autres partis, aussi bien EELV que les Radicaux de gauche ou le MRC (Mouvement Républicain et Citoyen) et j’en passe. Ils devraient tous être alliés avec le parti socialiste et le gouvernement, ils ont passé un contrat avec eux en 2012 pour qu’ils nous soutiennent. Nous, on a accepté de travailler avec eux dès le début. Maintenant, ce sont eux qui sont en train de partir et de se diviser chez eux. Emmanuelle Cosse reste une alliée et pour moi qui suis Cannois (de Cannes), c’est important d’être associé avec eux. Nous le sommes d’ailleurs dans les Alpes-Maritimes pour les élections régionales afin de lutter contre la montée du Front National. »
Cet avis, Sylviane et Gilles Raby le partagent. Militants depuis une dizaine d’année pour la première et depuis près de trente ans pour le second, lorsqu’on leur demande s’ils trouvent que le parti est divisé ils répondent : « Non, moi je trouve pas tant que ça. Je trouve que c’est surtout les médias qui racontent ça. Oui, c’est divisé mais très peu. On a vécu la période des courants et c’était pire. Là il y a des discussions au sein de la gauche en général et du PS en particulier mais c’est très sain. Ça nous paraît normal qu’il y ait des courants aussi. Ici les choses ont été clarifiées en ce qui concerne les propos d’Emmanuel Macron sur les 35 heures. Si c’était une remise en cause des 35 heures, la réponse est non. Je ne pense pas que ce soit le discours qu’il ait tenu. C’était une vision différente de la valeur travail et là, effectivement, on a un débat à avoir. Il faut essayer aussi son système, les autres n’ayant pas fonctionné. Après, entre nous deux, nous n’avons pas de divergences mais dans notre famille, ça nous arrive d’avoir des points de vue différents, une vision différente de la gauche oui. » Quant au sujet d’EELV, à peine le temps de demander si EELV à sa place avec le PS que la réponse est déjà tranchée : « Oui ! Clairement oui, il faut qu’ils clarifient juste un peu leur position. Chez eux aussi il y a des tendances, mais ils vont clarifier leur position notamment pour les régionales. On a assisté à un atelier pour les régionales où les Verts disaient qu’ils travaillaient pour ça. Pour le second tour ils prévoient une alliance mais pas au premier tour, ils jouent leurs cartes. C’est bien quand il n’y a pas de risque, admettons. Mais quand il y a ce risque de voir passer la droite voire l’extrême droite… »
Sylviane et Gilles ne sont pas aussi inquiets que certains militants sur la question de la montée du FN.
Jean-Philippe Herbert, lui aussi militant, estime que le parti n’est pas divisé. « Il y a toujours eu des débats. Ça fait partie de l’histoire du parti mais aussi de sa richesse. Il y a plein d’idées qui s’expriment. Forcément c’est une difficulté car c’est perçu comme une zizanie entre personnes, un manque de cohérence. Mais pour moi, c’est quelque chose qui enrichit le débat. Il y a toujours une aile gauche et une aile plus libérale. Je pense que le curseur évolue, il change suivant les périodes, dans un sens ou dans l’autre. Malgré cela, le débat est toujours ouvert. Je viens depuis plusieurs années à La Rochelle et il y a une réelle richesse à l’intérieur des ateliers et le respect mutuel est mis en avant. On voit bien que les gens débattent sur des idées mais au fond, le coeur des valeurs reste commun. Ce qui me frappe c’est l’impression que j’ai en entendant la couverture médiatique de l’université. J’ai l’impression que je n’étais pas au même endroit. Certainement que ce doit être lié à l’immédiateté médiatique, on s’attache plus à la petite phrase. Je me souviens, quand je suis venu, ça m’avait vraiment frappé. C’était il y a plus de dix ans. Et chaque année j’ai le même sentiment. Maintenant j’y suis habitué, j’analyse. Les débats sont complexes, on s’aperçoit que les choses ne sont pas si simples et c’est ça aussi la richesse de l’université. On s’aperçoit que les choses ne sont pas si simples et aussi caricaturales que ce que l’on voudrait en rendre compte en quelques phrases. Et quelques phrases c’est la contrainte qu’à la presse. C’est un constat auquel je n’ai pas vraiment de solutions. » Jean-Philippe apprécie revenir chaque année à La Rochelle. Plusieurs aspects font qu’il revient ici. Tout d’abord son intérêt pour la politique en général et puis « c’est une façon de sentir un peu les choses, de revoir les gens. D’une année sur l’autre, on perçoit des évolutions aussi bien idéologiquement que moralement. » Et ce n’est pas dans les médias que Jean-Philippe retrouve cette ambiance. Ces trois jours viennent « enrichir mon analyse » et c’est un aspect de la vie publique. Ce militant soulève tout de même une difficulté : le choix qu’il faut faire entre les ateliers, les plénières. Le choix est « terrible », et il y a presque un côté « frustrant » dans cela. Jean-Philippe souligne également le travail réalisé en amont. C’est pour cela qu’il estime que le parti peut se rassembler. « Mais en même temps, on a pas le choix. » De revenir ici, c’est également l’occasion de remettre les points sur les i explique-t-il. Il est vrai que certaines choses sont quand même faites. Jean-Marc Ayrault l’a ainsi évoqué lors de son intervention sur l’aspect économique de la campagne de François Hollande. Il a listé les différents engagements que le Président de la République et son gouvernement ont remplis après trois ans d’exercice du pouvoir. « Et ça, on ne le ressent pas forcément. Moi-même je ne pensais pas qu’il y aurait tant de choses réalisées puisqu’on ne voit que par les indicateurs économiques que sont le PIB, le chômage, la croissance… Le chômage est toujours là, c’est une réalité, mais dans le fond, je pense qu’il y a un socle, un travail de fond qui prépare l’avenir et ça fait partie des choses qui nous remontent, même si l’on aimerait que ça aille plus vite et que ce soit plus facile. Il y a tellement de choses qui ont été faites ensembles et de valeurs communes que c’est important de s’unir. Le contexte de gauche plurielle comme on a pu le connaître a changé mais les idées, les valeurs sont toujours là. À l’époque, il y avait même plus de divisions sur les questions environnementales qui sont aujourd’hui bien atténuées. Il n’y a donc pas de raison, à mon sens, que les Verts ne fassent pas partie du gouvernement. Après, certainement que le contexte de stratégie et de jeu des alliances vient polluer cela. Mais je reste persuadé que si l’on veut mettre en œuvre nos idées, il faut s’en donner les moyens et l’écologie fait partie de ces moyens. Dans tous les exécutifs locaux, les Verts et le PS ont fait des progrès ensemble. Il n’y a donc pas de raison pour que le projet actuel ne se fasse pas en commun.
Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire général du PS, s’est exprimé lors de la conférence de presse d’ouverture de l’université et en a profité pour rappeler que « la gauche s’est toujours constituée dans l’adversité et n’a jamais été un espace politique de tout repos. Il y a toujours eu ces polémiques mais la gauche avait la capacité de tenir. Moi, je ne veux voir que le rassemblement. Si certaines formulations sont approximatives ou que j’ai souhaité réagir, c’est que je ne veux pas participer de la fragmentation. »
Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti Socialiste, a souhaité « fermer le débat avec Emmanuel Macron ».
Enfin, le Mouvement des Jeunes Socialistes, le MJS, surnommé également le « poile à gratter du parti », était représenté à La Rochelle. De nombreux jeunes socialistes s’étaient réunis pour leur université d’été. Parmi eux, Marie Lemenand-Durel, animatrice fédérale pour la fédération socialiste de la Manche. « Nous sommes là pour rappeler notre position. Nous sommes un mouvement autonome, d’où cette position qui nous est propre. Je pense que c’est un point important, plutôt que d’être une organisation qui suit les plus vieux. La Rochelle, c’est surtout un grand temps de formation entre les plénières et les ateliers. C’est surtout ça la famille socialiste et c’est pour cela que je reviens ici depuis trois ans. » Alors qu’elle n’a que 21 ans, cela fait déjà quatre ans que Marie milite. Une action et un engagement qui peuvent surprendre à un si jeune âge, mais que Marie prend plutôt comme une force. « J’ai commencé à militer en 2011, après la campagne de François Hollande. Au début, être militant à 17 ans ça surprend. En général, les personnes qui ne font pas de politique trouvent ça très bien d’avoir des jeunes. Après, ça devient parfois un peu plus dur au sein du parti, quand il s’agit de s’affirmer en tant que jeune en face de quelqu’un qui a 30 ou 40 ans de parti derrière lui. Après, je pense que c’est une force d’être jeune, on apporte du renouveau, des idées nouvelles, une nouvelle façon de faire de la politique. Aujourd’hui on passe beaucoup par les réseaux sociaux. » Quand on lui pose la question de savoir si, selon elle, le parti est divisé, Marie répond : « Bien sûr ! Quand j’ai commencé à militer, on était en pleine campagne présidentielle, on était tous derrière François Hollande. Il fallait gagner. Mais on se rend compte qu’il y a toujours eu des rivalités, des sensibilités différentes au PS. Ce n’est pas une nouveauté. Aujourd’hui ça se voit peut être plus parce qu’on est au pouvoir, c’est tout. Et puis il n’y a pas que deux clans. La preuve, il y a avait quatre motions. Après, le MJS est autonome, on a nos propres statuts. Et je pense que pour rassembler, il faut avant tout respecter ses engagements. Aujourd’hui on voit que ce n’est pas le cas, c’est pour cela que l’université des jeunes socialistes s’appelle l’heure des choix. Il reste un peu moins de deux ans, ce sont deux ans pendant lesquels il faudra agir. » Quant au sujet « à la mode » durant cette université, les Verts : « Forcément que la gauche réussit le mieux quand elle est unie. Mais encore une fois, il faut respecter ces engagements, chose que le PS n’a pas fait sur la lutte contre les discriminations par exemple, ou alors quand le parti n’a pas été au bout de la loi sur la PMA. Pourtant, c’est quelque chose que l’on partageait avec nos partenaires de gauche. Alors forcément, quand on ne les respecte pas, on ne peut pas leur demander ensuite de s’allier avec nous. »
Les militants socialistes restent néanmoins d’accord sur un point : le PS, malgré ses divisions ou plutôt son affaiblissement, tient à faire face au Front National lors des régionales de décembre 2015 (et également des présidentielles de 2017).
La peur du FN, cet ennemi à combattre
Si les Verts étaient parfois omniprésents dans les discussions, ici ou là des militants discutaient de la hausse du Front National. Un atelier sur les régionales a d’ailleurs permis de soulever la question. Et les militants ne sont pas tous autant inquiets mais le parti de Marine Le Pen est en hausse dans les sondages et dans les intentions de vote, ce qui ne laisse pas indifférent.
Pour Hedi Majri, « la véritable problématique c’est le FN. Et j’en ai peur. Il détruit tout ce que la République a construit. L’installation et la banalisation du FN dans notre pays a de quoi faire peur. C’est une banalisation qui sape la République, enlève les fondements, les bases de notre démocratie. Là où je suis, le FN est à 38 %, c’est très difficile de lutter. Les jeunes n’ayant pas de perspectives se tournent vers ce parti qui propose des solutions amalgamées. Tous les élèves qui ne savent rien de la politique ou bien qui refusent tout simplement la politique se tournent vers le parti de Marine Le Pen. Et pourtant, la politique c’est l’affaire de tous. Politique ça vient de POLIS, qui veut dire la ville. C’est-à-dire que l’on participe tous de la construction de la ville. C’est le sens noble et beaucoup de jeunes l’oublie. Ce sont malheureusement tous ces élèves qui n’ont aucune notion de la politique qui votent à l’extrême droite. »
Marie estime elle aussi qu’il y a une lutte à mener contre le FN, mais pas uniquement pour les régionales. « C’est tout le temps qu’il faut combattre le FN, parce qu’il prend de l’ampleur. Et c’est l’un des combats majeur des jeunes socialistes. »
Gilles et Sylviane sont, quant à eux, un peu moins inquiets. « Oui, l’extrême droite est une crainte pour nous, mais ce sont surtout deux régions qui sont en danger, le PACA et le Nord-Pas-de-Calais. Il faut être vigilant mais ce n’est pas non plus une crainte énorme. S’il y a un émiettement et que se retrouvent en tête ceux qu’on appelle Les Républicains (rires) et le FN, ça peut poser problème. D’autant plus que, si en ajoutant les voies de gauche on se dit “mince, si on avait fait alliance on en serait pas là”, là il y aurait des regrets à avoir. Après, chacun prend ses responsabilités. Nous, on vient à l’université d’été surtout pour avoir des échanges, assister aux débats et aussi voir comment se profilent les alliances pour les régionales. Au final, c’est pour apprendre des choses. On en a appris sur la COP 21, l’impôt à la source. C’est très enrichissant. »
À 36 ans, Pascal, militant de la fédération de Lyon, est adhérent depuis quatre ans. Pour lui, il reste deux ans, deux années pendant lesquelles il estime qu’il est encore temps de mettre les choses au clair. « Il faut faire en sorte d’oublier les mauvais moments passés et se tourner vers les régionales puis vers 2017. Parce que le FN est un vrai sujet pour ces élections. Le parti y est présent, à chaque fois mobilisé. Mais je pense qu’on ne lutte qu’en arrière-plan contre les idées du FN. Ce n’est pas sur cela que l’on va se consacrer. »
Le calme régnait sur l’esplanade, tandis que l’agitation montait à l’intérieur, à l’occasion du repas de clôture.
L’université du Parti Socialiste à La Rochelle était donc un moment fort de cette rentrée politique. Un moment qui a permis aux militants de mieux cerner la politique que le gouvernement souhaite mener avant 2017. Pour la plupart d’entre eux, c’était un moment intéressant, de réflexion et de débat qui permettent de faire avancer les choses, de souder le parti, de mieux comprendre ses positions et de faire bloc pour les prochaines échéances électorales.
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