La photo du petit Aylan a initié un sursaut dans les consciences européennes. Le jour de sa parution, elle fait la une de dizaines de journaux nationaux, dénonçant l’horreur de la crise migratoire qui secoue l’Europe depuis plusieurs mois. Aussitôt, des mouvements de soutien aux réfugiés s’organisent sur tout le continent : « Refugees Welcome ». Paris, Berlin, Madrid… Les rassemblements se multiplient. L’écho se répand partout en Europe, et même au-delà : de l’Espagne à la Suède en passant par… le Mexique.
Madrid, au cri de « Nadie es ilegal »
Carmen suit timidement le cours des évènements, un panneau « I am Aylan » à la main. A six ans à peine, la petite fille n’offre pour toute réponse qu’un regard timide, avant de se mêler au cortège rassemblé à Madrid en faveur de l’accueil des réfugiés.
A quelques pas de là, la pancarte de Gregoria proclame « Hungria, inhumana ! » (Hongrie, inhumaine !). La Madrilène est venue seule au rassemblement. Mais convaincue. « Si j’ai décidé de manifester aujourd’hui, c’est parce que les souffrances vécues par les réfugiés déplacés par les guerres me paraissent insupportables, et inexcusables », confie-t-elle.
Comme elle, plusieurs milliers d’Espagnols sont descendus dans la rue samedi 12 septembre, à l’appel de plusieurs associations, partis politiques et syndicats. Madrid, Barcelone, Murcia … De nombreuses villes espagnoles ont résonné au cri de « Nadie es ilegal » (Personne n’est illégal).
« Ils ont tous le droit d’exister, la planète est à tout le monde », ajoute Gregoria pour qui la réaction de la Hongrie à l’afflux de migrants a été un électrochoc : « Leur permettre de traverser la Hongrie serait un minimum d’humanité : s’ils n’en veulent pas, qu’ils les laissent donc passer ! ».
Zineb, 21 ans, s’indigne également de la faiblesse des mesures prises par les pays européens. Étudiante en langue et littérature à l’Université Complutense de Madrid, elle est la coordinatrice d’une ONG humanitaire baptisée Islamic Relief Madrid. Pour cette espagnole d’origine marocaine, « les pays européens pourraient faire beaucoup plus que ce qu’ils n’en font ou prétendent vouloir faire dans le futur » .
Selon la jeune femme, s’engager en faveur des réfugiés relève de l’évidence : « Je ne peux pas accueillir de réfugiés chez moi étant donné que je vis chez mes parents, même si j’aimerais le faire », indique-t-elle avant de se dire néanmoins, prête à assurer des cours d’espagnol.
« Le programme d’accueil lancé en Espagne est une idée fantastique, surtout parce qu’il y a de nombreuses personnes intéressées. Mais on devrait mieux informer les citoyens des procédures à mener pour accueillir des réfugiés », ajoute-t-elle avant de rejoindre le cortège. Madrid a en effet annoncé au début du mois de septembre sa volonté de s’associer à Barcelone pour former un « réseau de villes » afin de faciliter l’accueil et l’hébergement des réfugiés en Espagne.
« Cela faisait depuis les années 1980 qu’il n’y avait pas eu autant de monde qui s’était rassemblé à Uppsala »
En Europe, même les villes plus petites se sont mobilisées. En Suède, Uppsala quatrième plus grande ville du pays a vu presque 6000 de ses 200 000 habitants défiler dans ses rues pavées. « Cela faisait depuis les années 1980 qu’il n’y avait pas eu autant de monde qui s’était rassemblé à Uppsala » se félicite Jeannette Escanilla co-organisatrice de l’événement Refugees Welcome – Uppsala.
Très vite, le mouvement prend de l’ampleur. La veille, l’événement Facebook compte deux mille participants. « On a vite eu besoin d’aide pour gérer la manifestation, aujourd’hui on a plusieurs groupes de travail » dit-elle en nous désignant du menton un groupe d’étudiants assis autour d’une table non loin de nous, dans un café du centre-ville.
Jeannette explique qu’elle a organisé la marche le jour-même de la publication de la photo d’Aylan, petit garçon mort noyé et retrouvé sur une plage turque. « Je suis allée directement à la police pour avoir le droit d’organiser la manifestation. Il me fallait une autre personne pour organiser tout ça, du coup j’ai appelé Tania ».
Tania Chávez est assise à côté, ses longs cheveux bruns lui arrivent aux hanches. « En fait, je n’ai pas eu besoin de voir la photo d’Aylan pour réagir. Je travaille dans ce domaine depuis longtemps. J’étais juste occupée avec d’autres problématiques, comme l’antiracisme. Quand Jeannette m’a dit qu’elle voulait de l’aide pour Welcome Refugees, j’ai répondu ‘bien sûr’ ».
Elles se sont rencontrées à plusieurs manifestations et sont elles-mêmes arrivées en Suède en tant que réfugiées à la fin des années 1970. Elles fuyaient la dictature de Pinochet, au Chili. « Quand je suis arrivée j’étais une enfant de trois ans mais je me rappelle de tout. Les gens étaient si gentils. C’est ce qui me force à me battre : je sais à quoi ressemble vraiment la Suède ».
Le 8 septembre, jour de la manifestation, tous les partis politiques étaient présents. Tous sauf les Démocrates Suédois, le parti d’extrême-droite entré au Parlement aux élections législatives de 2010 et dont la base électorale n’a cessé de croître depuis. « Nous ne les avons pas invités, explique Jeannette Escanilla, depuis qu’ils sont au Parlement, le racisme s’est normalisé. Les gens n’ont plus peur d’exprimer leur haine ».
Mais la manifestation Refugees Welcome – Uppsala, est pour Tania Chávez un signe que la Suède est toujours un pays de solidarité. « Ce qui est intéressant c’est que les partis politiques sont très divisés aujourd’hui. Mais à Uppsala, ils étaient tous unis et étonnés que nous ayons pu rassembler autant de monde. Cela signifie que nous pouvons y arriver ! »
Bal de charité, concert, happenings… plusieurs événements sont déjà prévus. « Pour le moment nous trions les vêtements que nous avons reçus pour les envoyer sur l’île de Lesbos, en Grèce, puis pour les envoyer dans les centres d’accueil en Suède ». Prochaine étape : récolter assez d’argent pour pouvoir se rendre aux points d’arrivée des réfugiés et leur apporter une aide humanitaire concrète.
« Je veux défendre mon droit d’être ici » résume Jeannette Escanilla, émue. Engagée en politique, elle insiste néanmoins sur le fait qu’elle a agi en tant que personne privée. Cela ne l’a pas empêchée de recevoir des menaces de mort qu’elle nous énumère avec lassitude. Tania s’appuie sur son épaule : « Quand elle est touchée par des menaces, je le suis aussi. On est solidaires ».
Elles l’assurent, elles ne céderont pas. « On m’a toujours dit que j’étais suédoise et que j’étais assimilée. Mais non, je me suis adaptée. Je suis une chilienne qui vit en Suède à cause d’une terrible dictature ». La politique multiculturelle suédoise a souvent été vantée, surtout lorsqu’il s’agissait de l’accueil des réfugiés. Elle est basée sur la reconnaissance des différences ethniques des immigrés – adaptation – et non sur la volonté de les fondre dans la culture suédoise – assimilation.
Pourtant, ce modèle est aujourd’hui remis en cause par la montée du parti des Démocrates Suédois, que Tania refuse de nommer : « Si nous ne nous assimilons pas, ils ne voudront jamais de nous. Mais le reste de la Suède nous aime. Et la Suède est un pays merveilleux. »
« Faire du Mexique un leader moral »
De l’autre côté de l’Atlantique, le soutien aux réfugiés a pris la forme d’une pétition adressée au président mexicain, Enrique Peña Nieto, et à la Secrétaire des Relations Extérieures, Claudia Ruiz Massieu. Elle appelle le gouvernement à recevoir 10 000 réfugiés syriens et, depuis sa création fin août compte déjà plus de 170 000 signatures.
C’est Nelson Olavarrieta, un immigré mexicain habitant à Dallas, qui est derrière ce mouvement. C’est un habitué de la cause des migrants puisqu’il aide les mexicains arrivés aux Etats-Unis à s’insérer dans le monde du travail, mais également les entrepreneurs souhaitant s’installer au Mexique. Comme il l’explique, l’humanitaire fait partie de son quotidien : « Je sers comme volontaire en donnant des cours de formation civique aux réfugiés et aux immigrés qui sont en train de régler leur statut ».
Nelson Olavarrieta tient à souligner le rôle historique du Mexique comme pays d’accueil pour les réfugiés, notamment pendant la guerre civile espagnole. « Ces personnes ont fait du Mexique leur pays et à la fois l’ont fait grandir » résume-t-il. Et d’ajouter : « L’économie mexicaine se trouve aujourd’hui parmi les plus avancées du monde; la numéro 15, d’après certains classements. Le pays doit assumer cette responsabilité face à la communauté internationale. » La solidarité deviendrait alors, une raison de fierté nationale.
Parler de l’Europe est inévitable. Nelson Olavarrieta pense que le leadership de l’Union Européenne (UE) peut se trouver contesté, la réaction des 28 ayant été lente. Mais il reste confiant. « Je suis certain qu’ils répondront d’une manière juste et humaine. » Il rappelle que le Mexique a établi un accord de libre-échange avec l’UE. « Je crois que leur partenariat peut aller au-delà des questions économiques pour toucher l’humanitaire. »
Mais cette idée est loin de faire l’unanimité. Le Mexique – un pays dont les niveaux de pauvreté et d’inégalité sont en augmentation – est-il capable d’accueillir ces personnes ? « C’est vrai, le Mexique compte plusieurs millions de pauvres et on se trouve face à plusieurs défis urgents, mais travailler sur la responsabilité humanitaire est compatible. On peut le faire en même temps. » Nelson Olavarrieta se montre optimiste par rapport à la place que son pays doit prendre dans le monde. « On n’est pas des tacos et de la tequila ! On est un grand pays, avec une grande histoire et avec un avenir encore meilleur. On peut gérer cela et plus encore. »
En Amérique Latine, plusieurs gouvernements se sont mobilisés pour mettre en oeuvre des programmes d’accueil pour les réfugiés syriens. Malgré cela, certains incidents sont à déplorer. En Uruguay, quelques familles qui ont été accueillies en 2014 par José Mujica – ex-Président de l’Uruguay – se sont manifestées pour demander à quitter le pays. À cet événement, Nelson Olavarrieta répond : « Ce qui s’est passé en Uruguay est anecdotique; il s’agit de cinq familles qui ne se sont pas adaptées à leur nouvelle situation, ce qui est difficile, sans aucun doute.»
Pour lui, prendre ce cas comme prétexte pour ne pas agir serait une erreur. « Un pays qui accueille des réfugiés doit s’assurer qu’ils soient traités comme des compatriotes. Le gouvernement fédéral doit travailler en collaboration avec les gouvernements locaux, mais aussi avec les institutions éducatives et les entreprises pour créer un programme d’urgence grâce auquel les personnes puissent s’adapter plus facilement. »
Dans le domaine de l’éducation, un projet a été conçu pour aider les jeunes syriens à s’intégrer dans des universités mexicaines pour la poursuite de leurs études, le projet Habesha. « J’adore ce projet, se réjouit Nelson Ovarrieta, j’ai fait moi-même un don. Tout le monde peut apporter un peu. » Il estime que les universités mexicaines devraient aussi soutenir ces étudiants en leur attribuant des bourses.
Sur ce sujet, il insiste : « C’est vrai, beaucoup de jeunes mexicains n’ont pas accès à une formation. Mais je réitère, on doit continuer à travailler sur tous les défis en même temps. Il faut faire les deux choses à la fois. »
Reportage signé Léa Sanchez à Madrid, Marie Zafimehy à Uppsala et Pamela Bazan à Mexico. Merci à Adele Fensby pour la traduction franco-suédoise.
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