Sur la page Facebook de la Fête de l’Humanité, on peut lire ce statut : « La situation économique et politique compliquée dans laquelle se trouve la Grèce était au coeur de toutes les conversations à la Fête »…
Vraiment toutes ? C’est la question à laquelle nous voulons répondre.
La Fête de l’Humanité, organisée tous les ans depuis maintenant 85 ans par le journal de Jean Jaurès est LA fête militante. Les différentes fédérations du Parti Communiste Français y sont toutes représentées, ainsi que des sections communistes étrangères, des syndicats, des associations et les organisations membres du Front de Gauche. Outre les débats politiques, la Fête est un moment de culture et de divertissement : sa programmation musicale diverse et de qualité a depuis longtemps fait sa réputation.
Avec plus de 20 000 visiteurs par jour, la Fête fait le plein et attire surtout de nombreux jeunes, qui ne sont pas toujours politisés. Parmi ceux-là, nous en avons suivi sept, dont c’était seulement la première ou la deuxième Fête de l’Huma.
Eve et Lucie : « le partage des richesses avec un mojito à 2€ »
Eve et Lucie ont 19 ans et viennent du sud de la France. Eve est en licence d’info-comm, Lucie étudie les Lettres Modernes.
Elles dorment au camping et ont pris un train très tôt depuis Montpellier pour arriver dès le vendredi. Elles n’ont pas acheté leurs places lors d’une prévente militante mais sur le site internet de la FNAC : elles ne savaient pas qu’il existait un tarif moins cher quand on passait par des militants. C’est leur deuxième Fête de l’Huma.
Lucie a connu la Fête par Eve, qui elle, la connaît « depuis gamine », grâce à sa mère qui est abonnée au journal L’Humanité et le lit tous les jours.
Lucie ne vient que pour les concerts et pour l’ambiance, alors qu’Eve est également attirée par l’aspect militant. Elle est « passée vite fait » par le NPA mais n’est aujourd’hui plus engagée dans aucune organisation militante. Ce qui ne l’empêche pas de se dire de gauche, « voire d’extrême gauche ». Pourtant, elle admet :
« J’ai du mal avec le PCF. Il ont fait des choses, c’est indéniable, mais ils ont un ego surdimensionné. Je trouve qu’ils ont tendance à penser qu’il n’y a qu’eux. »
Lucie quant à elle, essaye de se « construire une opinion ». Elle se sent proche du mouvement des indignés.
La ligne politique tenue par les communistes leur semble à toutes les deux parfois «irréalisable » mais elles trouvent que « l’idée d’origine est très belle.»
Lucie n’a pas voté lors des élections européennes puis départementales. Eve a soutenu le Front de Gauche aux européennes parce que ces élections lui semblaient importantes, mais elle n’a pas voté aux départementales : « je n’y comprenais rien.»
Le premier arrêt dans leur parcours est sur un stand militant… pour y acheter un mojito. Elles s’exclament de joie en découvrant qu’il ne coûte que 2€. Une fois servie, Eve lève son verre et dit en riant :
« C’est le partage des richesses avec un mojito à 2€ ! »
Un peu plus tard, en passant dans le Village du Monde, elles font une pause devant un stand animé. La musique orientale est forte, des hommes tapent des mains, certains chantonnent pendant que d’autres s’occupent de la nourriture, qui répand une odeur alléchante. Quand on leur demande pourquoi ce stand plutôt qu’un autre a retenu leur attention, la réponse est immédiate : « l’ambiance et la bouffe ! »
Elles font d’ailleurs remarquer qu’en dehors de la Grande Scène, elles passent la plupart de leur temps dans le Village du Monde : « y’a de quoi bien manger partout, et pas cher. »
Elle trouve que la Fête a un avantage par rapport à d’autres festivals plus traditionnels : son prix abordable.
« Et puis c’est plus facile, on peut parler à tout le monde. »
L’explication ?
« Le cadre, le fait que ce soit l’Huma qui l’organise. Il y a une bonne ambiance, une ambiance de camaraderie en fait, j’aime bien. C’est un de mes festivals préférés. » Lucie acquiesce. « Ici, on n’a jamais de problème, il faut une certaine ouverture d’esprit pour venir donc c’est normal » Pour elle, c’est un des seuls festivals où il est possible pour deux filles de venir seules.
Lorsqu’un militant leur propose d’acheter le programme de la Fête, Eve tente de négocier le prix. Elles repartent sans avoir réussi. Elles tutoient automatiquement les jeunes mais pas les plus vieux, elles ne sont « pas là en tant que camarades. »
En tournant les pages du programme à la recherche de ce qui les intéresse, elles tombent sur le programme de la Fête heure par heure, mais passent à une autre page en commentant :
« Là y’a absolument tous les évènements, donc ça ne nous va pas. »
Elles ne se concentrent que sur la programmation musicale. Elles sont emballées par le concert en solidarité avec l’Afrique. Eve prévoit quand même d’assister à quelques débats, mais elle ne regarde pas lesquels sont prévus.
« Je me pointe à l’Agora, et si ça me gonfle, je me taille. »
Plus tard, en passant devant le forum social, elle rigole à l’écoute d’un intervenant. Elle le trouve un peu caricatural : ses cheveux sont grisonnants, sa voix est chevrotante et faible :
« Sans écouter, on sait qu’il parle de politique, il fait vieil intello chiant ! »
La plupart du temps, Eve et Lucie ne prennent pas les tracts que des militants leur tendent, et ne signent que rarement des pétitions.
Elles s’arrêtent pourtant lorsqu’un militant du Secours Populaire les interpelle pour soutenir les grecs. Elles n’acceptent pas de faire un don, mais repartent convaincues que « c’est vachement bien ce qu’ils font. »
Lucie explique avoir suivi Eve :
« Ça m’intéresse mais comme je n’y connais rien, je n’ai pas envie de discuter. Je suis une éternelle insatisfaite politiquement, il y a toujours des points qui ne me vont pas et je ne veux pas faire de concessions. »
En revanche, elles s’arrêtent plus facilement quand un militant les aborde pour leur vanter le kebab au canard. Elles promettent de venir goûter plus tard.
« L’ambiance est tellement cool, ça donne envie d’être communiste ! »
Eve est tout sourire :
« Les militants sont toujours super sympas, il suffit de ne pas être de droite !»
Elle a d’ailleurs monté une stratégie pour pouvoir recharger son portable sur les stands du PCF :
« Je vais sur un stand et je joue la communiste à mort. C’est facile, je fais des petites blagues, par exemple je crie « vive les rouges ! », en rigolant et ça passe. »
Des faucilles et des marteaux partout ? Pour Lucie et Eve :
« C’est normal, là ils peuvent s’afficher, ils se lâchent »
Pourtant, en passant devant un stand arborant des affiches « boycott israel apartheid », Eve trouve que « c’est un peu trop ». Pour elle :
« Le conflit est trop complexe pour avoir un avis aussi tranché. »
Elles remarquent qu’au camping,
« Il n’y a vraiment pas beaucoup de gens qui viennent ici pour la politique. »
Quand on leur demande si d’après elles un jeune peut être convaincu de soutenir le PCF en venant à la Fête de l’Huma, Lucie semble sceptique, alors qu’Eve affirme que oui :
« Pendant la Fête, le dialogue est plus facile, le discours passe mieux. On est dans un cadre détendu donc c’est facile d’aller dans le même sens, de trouver des points d’accord. Et puis l’ambiance est tellement cool, ça donne envie d’être communiste ! »
Romain et Yassine : « l’impression d’être dans un autre monde»
Romain a 21 ans, il étudie à Paris dans une école d’ingénieur. Yassine lui a 20 ans, il fait une licence de mathématiques dans une université parisienne.
C’est leur première Fête de l’Huma. Ils en avaient déjà entendu parlé mais c’est en voyant la programmation sur une affiche dans Paris qu’ils ont vraiment eu envie de venir : ils sont tous les deux fans de Youssoupha et Yassine aime beaucoup Manu Chao.
Ils connaissent le journal et « son orientation politique, très à gauche », donc ils avaient conscience de l’aspect militant de la fête avant de venir.
Pourtant, ils disent avoir été surpris en traversant la fête pour aller s’installer au camping. Romain explique:
« Je ne m’attendais pas à voir autant de logos du PCF avec la faucille et le marteau, je pensais que c’était plus divers, plus ouvert ».
Quand on leur demande si les banderoles et slogans les choquent, ils réfléchissent longtemps. Yassine répond :
« Je suis d’accord avec la plupart des slogans, même si ça me surprend de les voir au premier abord. Bon, y’a des choses, comme des banderoles qui disent qu’il faut sortir de l’euro, là pour moi, c’est non. »
Yassine se situe plutôt à gauche, alors que Romain ne s’intéresse pas du tout à la politique :
« Ici, j’ai un peu l’impression d’être dans un autre monde, tout le monde parle de politique, on me propose de signer des pétitions tout le temps. »
Devant un stand qui vend plein de t-shirt du Che, Romain commente :
« En fin d’année, on a beaucoup parlé de lui, c’était l’anniversaire de sa mort ou un truc comme ça. J’ai lu un article qui disait que c’était un dictateur et qu’il n’avait pas fait que des choses bien à Cuba, ça ne me donne pas vraiment envie d’acheter quelque chose avec sa tête dessus ».
Quand il croise un militant avec son visage tatoué sur le bras, il est « carrément choqué ».
« On ne va pas devenir communiste en une journée »
Pourtant, il s’arrête spontanément discuter avec un militant qui lui propose d’interpeler François Hollande à propos de la politique économique et sociale menée par le gouvernement. Il hésite à signer la carte postale siglée PCF censée être envoyée au président et finalement décide de reporter à plus tard. Yassine écoute attentivement la conversation et hoche de temps en temps la tête.
Lui signera sans hésitation la pétition de la Fondation Abbé Pierre contre la potentielle suppression des APL par le gouvernement :
« Ils ont déjà essayé de le faire, l’année dernière je crois. J’avais déjà signé une pétition en ligne et j’avais suivi le truc sur une page Facebook créée par, euh, l’UNEF, c’est ça ? J’habite à Paris, je paye une fortune pour un studio minuscule et les APL ne sont vraiment pas élevées. Pourtant c’est quand même normal de ne plus habiter chez ses parents quand on devient étudiant ! J’ai plein de potes qui ne peuvent pas faire autrement, c’est abusé ! »
Romain signe lui aussi et dit apprécier la présence d’associations sur la Fête :
« C’est cool qu’il n’y ait pas seulement le PCF, parce que y’a pas que les partis qui font de la politique et qui défendent des choses. Les associations, je trouve ça super important. »
Au cours de notre conversation, Yassine fait remarquer à Romain qu’ils parlent de politique depuis un bon moment, il appelle ça « l’effet Fête de l’Huma ! ».
Romain nuance :
« Ouais, mais on ne va pas non plus devenir communistes en une journée… »
Se pose alors la question de savoir si la Fête de l’Huma pourrait réveiller chez lui une conscience de gauche. Il réfléchit longtemps puis répond :
« En partie oui, parce que je suis curieux, donc je vais m’arrêter discuter avec des militants. Si les arguments sont bons, je peux me laisser convaincre. Après, je vais surtout passer mon temps devant la Grande Scène pour les concerts, ce n’est pas vraiment là que je vais me mettre à parler politique. »
Pourtant, lorsque lui et Yassine regardent le programme, ils constatent que le choix des artistes n’est pas fait au hasard.
« Manu Chao, c’est vraiment de gauche ! », affirme Yassine.
«Y’a aussi un concert en solidarité avec l’Afrique », renchérit Romain.
Il ajoute :
« Même si j’ai peu de débat avec les militants, la musique est militante aussi, alors peut-être qu’à la fin du week-end, je serai un peu plus de gauche qu’avant. Enfin, peut-être, parce que je ne viens pas du tout d’un milieu de gauche. Et puis souvent je n’y comprend rien, d’ailleurs je ne vote jamais, et c’est pas la Fête de l’Huma qui va changer ça. «
Héléna, Victor et Mehdi : « Le communisme est d’actualité, pas son folklore »
Héléna a 23 ans, elle vient de finir ses études de communication. Victor et Mehdi ont 22 ans, ils sont tous les deux étudiants en éco-gestion, à Lille.
C’est la première Fête de l’Huma pour Héléna et Victor, Mehdi est déjà venu l’année dernière, il a même gardé son bracelet, en plus de ceux de tous les festivals qu’il a fait cet été. Il est revenu cette année pour la programmation musicale, et parce qu’il aime l’ambiance. C’est lui qui a poussé ses amis à l’accompagner cette fois-ci.
En arrivant sur la Fête, ils traversent le hall Nina Simone. Héléna est emballée par l’hommage à l’artiste, qu’elle adore. Victor, lui, propose de faire le tour des associations présentes dans le hall.
Après le passage sur le stand d’Osez Le Féminisme, un débat animé se lance sur la prostitution. Héléna défend l’abolition, Mehdi l’encadrement, Victor hésite.
A l’extérieur, le soleil est éblouissant, les allées sont encore assez vides. Les militants sont déjà là et s’activent sur leurs stands pour que tout soit prêt lorsque la foule commencera à arriver.
Mehdi les a prévenu :
« Je sais qu’Hélène est carrément de gauche, mais ce n’est pas le cas de Victor alors je lui ai tout de suite annoncé la couleur »
Malgré tout, Victor a l’air étonné :
« Je ne savais pas qu’il y avait autant de gens nostalgiques de la faucille et du marteau. »
Héléna ironise :
« Heureusement que tu aimes le rouge, hein Victor ? »
Ils déposent rapidement leurs affaires au camping et retournent sur la Fête pour se trouver à manger. Mehdi conseille le Village du Monde avec enthousiasme.
En s’approchant du stand du Parti communiste turc pour acheter un kebab, Héléna s’arrête :
« Quand même, j’ai l’impression qu’on ne vit pas sur la même planète ! Je suis de gauche, je n’aurais pas de mal à me dire communiste, mais bon, je ne rêve pas de revenir au temps de l’URSS ! »
Mehdi, lui, trouve ça plutôt amusant :
« Faut pas le prendre autant au sérieux, c’est normal, ils sont entre eux donc ils affichent leurs couleurs. Moi ça me fait marrer, c’est aussi ça qui fait le charme de la Fête de l’Huma ! »
Victor explique que même s’il était « carrément de droite », il viendrait quand même, pour les concerts.
Une fois rassasiés, les concerts n’ayant pas encore commencés, ils décident de faire le tour de la Fête.
Héléna semble plus à l’aise avec les livres vendus sur l’un des stands qu’avec les banderoles des communistes turcs. Elle en feuillette plusieurs, et en discute avec un militant.
« C’est agréable de voir des bouquins qui critiquent le système économique actuel, cherchent à faire réagir les gens en posant les bonnes questions et en approfondissant pour y répondre. J’ai lu des trucs sur Marx et je trouve que ce qu’il dit s’applique très bien à ce que l’on vit aujourd’hui. »
Mehdi écoute, puis la qualifie de gauchiste en riant.
C’est Victor qui la défend :
« Je ne suis pas communiste, mais ça me paraît logique que y’a des choses qui ne vont pas, et qu’il faut les changer. Elle a raison de dire ça ! »
Leur passage devant une indication humoristique pour des shooters au litchi détend l’atmosphère. C’est Héléna qui explique à Mehdi et Victor le jeu de mot :
« Lénine, c’était un pseudo. Son vrai nom c’était Vladimir Ilitch. Vous comprenez du coup ? »
La blague les fait rire. Mais leur rire est vite accompagné d’étonnement, lorsqu’ils passent devant le stand du Pas-de-Calais.
Mehdi s’exclame en riant :
« Y’a encore des gens qui utilisent le mot « prolétaires » ! Sérieusement ? »
Héléna lui répond :
« Apparemment. C’est peut-être justifié, parce qu’il y a encore des gens qui sont pauvres, qui sont exploités, dominés, mais franchement, je pense que ce mot ne parle plus à personne. »
Victor, lui, est pris d’un fou rire, renforcé lorsqu’il voit passé un cortège de jeunes communistes avec des faucilles et des marteaux sur leur t-shirt, portant des drapeaux rouges et des chapkas floquées d’une étoile rouge.
Héléna se désole :
« Je trouve qu’il y a une super ambiance ici, mais ça, je trouve ça plus ridicule qu’autre chose. C’est drôle c’est sûr, mais on ne va convaincre personne avec ça, surtout pas des jeunes. Tous ces slogans et ces symboles font partie du passé. Pourtant, je pense que le communisme est d’actualité. Pas son folklore. »
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