Lundi 30 Novembre dernier s’est ouverte à Paris la 21ème Conférence des Parties COP21 au sujet du dérèglement climatique. Organisée par l’ONU, elle rassemble 150 pays jusqu’au 11 Décembre prochain. Leur but ? Trouver un accord contraignant pour maintenir le réchauffement climatique à 2 degrés – par rapport à la température du XIXème siècle. Après l’échec des précédentes conférences – Kyoto, Doha, Copenhague – les citoyens ont décidé de faire entendre leur voix en organisant des “Marches pour le climat” partout dans le monde. Du Mexique au Danemark, panorama des mobilisations.
Copenhague : « Nous voulons changer le monde mais ils ne nous écoutent pas »
Après les violentes pluies de la matinée, le soleil se montre enfin timidement alors qu’une foule commence à se rassembler sur la Røde Plads. Il est exactement 12h50 soit dix minutes avant le début de la manifestation pour la Cop21 de Copenhague. L’évènement rassemble des personnes de tous les horizons : couples, familles avec enfants, bande de jeunes, personnes âgées, engagés ou sans conviction particulière, activistes ou simples curieux…
Mon chemin croise celui de Susanne, 71 ans, qui est membre du Socialistisk Folkeparti [un parti danois de gauche ndlr]. Selon elle, la marche du 29 novembre est un moyen de forcer les politiques à écouter les citoyens. « On n’a pas beaucoup parlé des enjeux du climat et de l’environnement depuis plusieurs années » déplore-t-elle, faisant remonter les dernières véritables avancées sur le sujet aux années 1980. Un grand progrès serait que « la Chine s’intéresse un peu plus aux enjeux écologiques, ainsi que le Brésil » [la Chine rejette aujourd’hui à elle seule 25% des émissions de CO2 mondiales et se classe donc au premier rang des pollueurs ].
La donne va-t-elle changer avec la Cop21 ? La fringante mamie reste réaliste voire pessimiste : peu de monde s’intéresse à la Cop21 et l’environnement en général. Ni la population, ni « le gouvernement qui ne voit pas plus loin que la prochaine élection ». Plutôt que de progresser, la bataille contre le réchauffement climatique tend à reculer. « J’espère mais je ne veux pas y croire » conclut-elle à propos de la conférence avant de rejoindre la tête du cortège qui s’élance.
La Cop21 Klimatmatch peut enfin commencer. Le circuit, de la Røde Plads au château de Christiansborg [le Parlement], s’étale sur environ 4 km et rassemble 10 000 personnes. Je rencontre Soline qui marche à côté de moi.
Soline est une jeune physiothérapiste avec des tracts plein les mains. Elle rejoint volontiers le constat de Susanne selon lequel « rien n’a été fait pour le climat depuis longtemps ». En revanche la jeune femme veut se montrer plus positive et souligne fièrement que « le Danemark a déjà fait beaucoup sur la question environnementale, et je pense qu’on peut se définir comme des leaders dans le domaine ». « Mais ce n’est pas assez. Il faut toujours vouloir faire mieux » reconnaît-elle immédiatement. Elle aussi « espère » sans oser trop y croire que la conférence de Paris aboutira sur des changements concrets.
Ses principaux adversaires ? Le gouvernement « qui ne fait pas attention à l’environnement car il n’y a pas d’argent à se faire dans le domaine » et les récentes attaques terroristes qui vont « changer le contexte de la Cop21 ». « Les gens pensent plus à leur sécurité pour le moment et moins au climat » déplore-t-elle.
Cette amoureux des plantigrades est venu à la marche parce que « les politiques ne nous écoutent pas » alors que « nous voulons changer le monde » résume-t-il sobrement. Lui aussi n’ose pas trop se prononcer sur la Cop21 et ses possibles résultats, se contentant d’espérer, car « tout peut changer en l’espace d’une seconde comme sur plusieurs années ».
« Nous devons inventer de nouvelles manières de promouvoir l’écologie » affirme-t-il. Le climat n’est pas qu’une affaire de politiques mais aussi une responsabilité citoyenne ». Comme la marche d’aujourd’hui par exemple ? « Non, bien sûr nous pouvons organiser des manifestations mais ce n’est pas assez, par exemple nous aurions pu rassembler beaucoup plus de monde, mais les gens sont trop paresseux ou alors se sentent pas concernés ». L’étudiant n’oublie cependant pas que le problème du climat ne peut se décider simplement au niveau national : « ce n’est pas qu’au Danemark que nous pouvons changer quelque chose, l’enjeu est global » et doit être discuté plus largement.
Washington : « Hey Obama ! We don’t want no climate drama ! »
Après un mois de novembre exceptionnellement chaud tutoyant les 60° Fahrenheit, les manifestants de la marche pour le climat n’ont pas la météo avec eux. À 14 heures précises, quelques deux-cents personnes se pressent sous le crachin de la capitale. La sécurité n’a pas été prévenue du rassemblement « On voit juste les choses arriver au fur-et-à-mesure, et on fait avec », expliquent les policiers. Sur Pennsylvania Avenue, juste en face de la Maison Blanche, les rassemblement spontanés sont communs, des activistes pro-life aux militants “Free Palestine”.
Sally est archéologiste. À l’occasion de la manifestation, elle a apporté cette planète Terre en papier mâché qui représente son engagement écologiste : « Au lycée, j’ai pris conscience de l’importance du recyclage. Je fais des câlins à la Terre depuis longtemps à présent ». En ce 29 novembre, elle a décidé de marcher pour montrer son soutien sans réserves à la Cop21. Sans réserves, mais pas aveugle « Je me doute que ce ne sera pas la solution à tous nos problèmes, mais il nous faut absolument un accord. Un accord signé par tellement de pays qu’il devienne la norme ».
Quand on lui demande si les récentes attaques terroristes ne vont pas faire obstacle à la médiatisation de l’évènement et à son impact, Sally secoue la tête : « Je ne pense pas. Je crois qu’au contraire ces attaques ont eu l’effet d’un électrochoc. Les gens se sont dit qu’il fallait sortir et montrer qu’elle n’allait pas nous arrêter ». Et d’ajouter « Vous savez, il y a cette fabuleuse photo qui circule partout dans le monde des Parisiens qui ont placé leurs chaussures Place de la République. C’est une image tellement puissante. Même le Pape est allé poser ses chaussures ! »
Pour Sarah, la marche est quasiment une sortie familiale. Equipés de pancartes et d’affiches, c’est la deuxième fois que son mari et ses deux enfants l’accompagnent à une manifestation en faveur du climat « Nous sommes allés à la grande marche du climat l’année dernière à New York. Je pense qu’il est important de montrer à ses enfants que quand on croit à quelque chose, il ne faut pas rester à la maison à geindre. Il est nécessaire de faire entendre sa voir et d’agir ». Ses enfants ont 7 et 10 ans mais scandent déjà les slogans de la marche avec le même enthousiasme que le reste des manifestants « Je pense qu’ils comprennent, explique Sarah. Mon fils comprend, c’est certain, et ma cadette…Elle a 7 ans, mais je suis certaine qu’elle commence déjà à saisir l’importance du changement climatique ». Cette éditrice ne se fait pas d’illusion concernant l’issue de la Cop21, mais est convaincue de l’importance de montrer son soutien : « Nous devons montrer à Obama que nous sommes d’accord, qu’il a raison de mettre en jeu l’héritage de sa Présidence sur le climat, et que nous le soutenons ». Mais Obama n’est pas le seul chef d’Etat en qui Sarah place de l’espoir « Ils sont 150 à Paris. Il faut que nos dirigeants nous prouvent qu’ils sont vraiment des leaders. Il faut qu’ils assument leur responsabilités. »
Dans le long défilé monochrome de la marche de Washington, une manifestante se détache. Elle s’appelle Ana-Laura, et a choisi de s’habiller en pingouin pour l’occasion « J’ai choisi ce costume parce que c’est un animal qui reçoit moins d’attention que les ours polaires, mais ils vivent eux-aussi dans un écosystème très fragile, qui est affecté par le changement climatique ! Je me suis dit que m’habiller de cette façon piquerait la curiosité des gens et les pousserait à me poser des questions. Vous voyez, ça fonctionne ! ». Ana-Laura est une activiste lobbyiste du changement climatique. Pour elle, cette marche était une évidence : « Le changement climatique est un problème capital. Je pense que cette marche est un bon moyen de montrer que nous supportons le processus de négociation de la Cop 21 ». Mais elle n’est pas dupe pour autant « Je ne pense pas que ce sommet résoudra tout, mais c’est définitivement un pas dans la bonne direction. En tant que pays, nous devons travailler tous ensemble pour résoudre le problème, en collaborant ». Les évènements de Paris ont selon elle renforcé la détermination des dirigeants et des populations à faire de cette Cop 21 un succès « Je pense que ça a engendré une énorme solidarité. La France a placé beaucoup d’efforts dans ces négociations, et veut vraiment collaborer…tout ça peut sembler bien éloigné des évènements de ces dernières semaines, mais tout est lié : la crise climatique créé du conflit, le conflit engendre guerre et haine, ce qui, d’une certaine façon, engendre aussi le terrorisme… »
Mexico : « La question climatique est aussi importante que les enjeux de la sécurité et l’économie »
C’est une journée ensoleillée à Mexico. Il est environ 10h30. Je me trouve sur la Place de la République, où se situe le Monument à la Révolution. Ce lieu est un point de rendez-vous habituel pour organiser des mobilisations dans la ville. Comme dans d’autres pays, des centaines de personnes ont décidé de se rassembler autour de la question climatique. Des organisations écologistes, des groupes d’amis et des familles font leur apparition. Les gens s’apprêtent à former un cortège qui passera par Paseo de la Reforma, une des avenues les plus emblématiques de Mexico.
Lizbeth travaille dans le social. Elle tient dans ses mains un cadre et un tournesol faits en carton. La jeune femme a un sourire pour toute personne voulant la prendre en photo. Pour cette manifestante, l’objectif de ce rassemblement est de montrer que les citoyens sont conscients d’un problème très grave, celui du changement climatique. « Il faut que nos dirigeants se rendent compte qu’on est très vigilants aux mesures qu’ils prennent. » La COP21 aboutira-t-elle sur un accord concret ? « J’espère. Toutes les personnes présentes aujourd’hui sont vraiment engagées. » Elle se dit optimiste : « je crois qu’une manifestation pacifique, colorée et dans une bonne ambiance peut toujours aider. » Après une question au sujet des récentes attaques terroristes à Paris, Lizbeth affirme que la COP21 ne passera pas au second plan après ces évènements, surtout parce que « si on ne marche pas à Paris, le Mexique et d’autres pays le feront. » Elle considère que le changement climatique est aussi prioritaire qu’autres enjeux, même si les personnes qui se mobilisent pour cette cause sont beaucoup moins nombreuses.
Il est 11h. Les gens forment le cortège. Au rythme d’une Batucada, ils commencent à avancer sur la rue. Ils chantent. Ils dansent. Ils font de cette marche un véritable carnaval.
Quelques minutes plus tard, la foule s’arrête au Sénat. Les citoyens exigent des mesures plus concrètes de la part des législateurs et du président Enrique Peña Nieto. Ils veulent que la loi de transition énergétique soit enfin approuvée. Quelques personnes placent des affiches sur les murs du bâtiment.
Miguel n’hésite pas à se décrire comme un écologiste engagé. Il est venu marcher pour que les politiques agissent « dès maintenant. » Cet homme prend une position très critique envers le gouvernement. Il a l’air énervé : « Ça fait des années qu’ils connaissent cette problématique, mais ils n’ont jamais rien fait, parce que les entreprises pétrolières et les banquiers font pression sur eux. »
Pour lui, la possibilité de trouver un accord est lointaine. « Tous les sommets sont sabotés, principalement par les États-Unis et la Chine » Et cette fois-ci, il l’assure, la situation ne sera pas différente.
María Elena est une femme au foyer. Sa petite fille, qui se dit « amusée et heureuse d’être venue » se tient à ses côtés. « Êtes-vous ici pour faire pression sur les politiques ? » Elle se précipite pour répondre. « Politiques ? Ce rassemblement n’a rien à voir avec la politique ! C’est une affaire globale ! » Comme la plupart des personnes, elle « espère » que les chefs d’État pourront trouver un accord. Mais elle aimerait voir plus de gens mobilisés pour cette cause. Elle tient à souligner l’importance d’une éducation écologique pour les enfants : leur apprendre à économiser l’énergie, à jeter les ordures dans la poubelle… La petite manifestante intervient dans la conversation : « Je n’aime pas jeter des déchets dans la mer » avant d’ajouter : « Je réutilise mes bouteilles et je prends soin de l’eau pour que les plantes puissent grandir. »
Le cortège arrive enfin à son destin. C’est le Monument à la Mère. Une cérémonie, menée par des représentants des communautés indigènes, a été préparée pour conclure la manifestation. Aujourd’hui, les gens présents font hommage à une mère non-humaine, la Mère Nature. Les personnes présentes ont formé un cercle et ont fait des prières pour remercier la planète Terre.
Londres : “Il faut que les gens réalisent que le changement climatique concerne tout le monde, pas juste quelques hippies”
Il est 13h à Londres lorsque la Climate March débute. Les policiers sont présents depuis quelques heures déjà pour encadrer la manifestation, mesure indispensable pour gérer les 40 000 personnes présentes pour montrer leurs inquiétudes quant au changement climatique. De nombreux orchestres rythment la marche, rendant l’ambiance festive malgré les banderoles alarmistes des manifestants. Les gens dansent, crient et se saluent chaleureusement mais difficile d’oublier les enjeux cruciaux qui seront discutés lors de la COP21.
Je commence par rencontrer peu avant le début de la marche un groupe d’amis, couronnes de feuilles dans les cheveux, tambours en bandoulière et probablement une des meilleures banderoles ce jour là (voir photo). Je discute un peu plus longuement avec Maryla, une infirmière de 28 ans, qui semble cacher une conviction sans faille derrière son sourire permanent. D’après elle : “Quand beaucoup de gens se réunissent et montrent que les gouvernements et les entreprises ne sont pas les seuls à avoir du pouvoir, ça peut faire la différence”. Maryla ne place pas beaucoup d’espoir dans la COP21 mais insiste sur le fait qu’il ne faut pas arrêter de faire pression et que c’est le seul moyen de faire changer les choses. “Il faut que les gens réalisent que ce problème concerne tout le monde, pas juste quelques hippies.” Quand je lui demande quelle place ont les problèmes écologiques dans sa vie, elle me répond sans hésiter que c’est sa priorité. “Je suis infirmière. Je vois des enfants qui ont de l’asthme alors qu’ils ne devraient pas en avoir, juste parce qu’ils vivent dans des endroits pollués.” Être infirmière est pour Maryla une vocation avant d’être un métier, et les problèmes qu’elle rencontre chez ses patients sont pour elle intimement liés au changement climatique.
Mon chemin croise ensuite celui d’une famille – loin d’être la seule au sein de la Climate March. En effet, beaucoup de parents ont tenu à faire participer leurs enfants en ce 29 Novembre. La maman, Dainai, une pédopsychiatre de 48 ans, m’explique très simplement ce qu’il l’a motivée à venir manifester : “Nous ne voulons pas que la planète dépérisse et nous voulons que la vie continue sur Terre.” Pour elle aussi, il s’agit de montrer au monde entier que “beaucoup de gens sont inquiets à propos de l’écologie”. Dainai compte bien “garder un oeil” sur l’avancement de la COP21 mais tout comme Maryla, elle préfère placer ses espoirs dans les manifestants plutôt que dans les acteurs politiques. “Si les politiques ne veulent pas changer, alors les gens feront changer les choses”. Au sujet des attentats parisiens et de l’état d’urgence mis en place en France, elle me dit : “Je pense que ça a rendu l’atmosphère très triste pour les négociations. Mais j’espère qu’ils pourront parler du climat et mettre ces problèmes de côté pendant un moment.” Je demande à Dainai de m’expliquer ce qui l’a sensibilisée à l’écologie et elle m’offre une vraie réponse de maman : “Quand j’ai eu mes enfants, j’ai commencé à penser au futur et j’ai réalisé à quel point la situation était dramatique et compliquée. C’était important pour nous de venir ici en famille parce que mes enfants sont sensibles à ces questions eux aussi. Notre style de vie est complètement vert et ils savent à quel point c’est important de se soucier de la planète.”
Alors que la marche touche à sa fin, je croise un groupe de français. L’une des filles pose pour une photo en tenant une pancarte “I Marched For You”. Clémence, 32 ans m’explique que c’est la raison de sa présence à la Climate March. “J’ai plusieurs amis parisiens qui auraient voulu aller à la marche à Paris qui a été interdite à cause de l’état d’urgence. J’ai vu passer la campagne, et puis au final un bon pote à moi a posé avec l’affiche March For Me, je me suis dit ‘Bon ok’” Je lui demande alors si elle se sent vraiment concernée par le changement climatique ou si sa participation à la manifestation est purement un acte de solidarité envers les parisiens. Elle s’empresse de m’expliquer : “Bien sûr que je suis écolo et évidemment que je pense que l’Homme est responsable du changement climatique des récentes années. C’est juste que j’ai pas beaucoup foi dans les manifs, donc je serais pas forcément venue.” J’évoque l’attention donnée aux attaques de Paris en comparaison à la COP21, l’écologie va-t-elle passer au second plan ? “J’espère pas, et puis en plus je pense qu’ils arrivent à faire un assez bon boulot pour démontrer que le débat sur le climat est en fait totalement lié à la question du terrorisme (notamment le financement du terrorisme). Il faut au contraire lier les deux et démontrer que la lutte pour un développement plus durable et équitable est en fait complètement d’actualité pour la lutte contre le terrorisme.”
Un article co-écrit par Tamara Bouhl à Londres (Grande-Bretagne), Alexandra Saviana à Washington (États-Unis), Pamela Bazan à Mexico (Mexique) et Pauline Vallée à Copenhague (Danemark)
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