Reims, portraits de militants
Il crachine à Reims, place Royale, quand une foule de lycéens et d’étudiants rendus hirsutes par la pluie commencent à s’y regrouper. « Un pas en avant, trois pas en arrière, c’est la politique du gouvernements. Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, c’est la politique du gouvernement » scande-t-on en cadence, avec mouvements et drapeaux appropriés. Peu à peu, des jeunes – et moins jeunes – militants se joignent à eux, formant une foule hétéroclite qui ne manque cependant pas de ferveur. Syndicats étudiants, organisations politiques et badauds sans étiquette invectivent en cœur le gouvernement une heure et demie durant en arpentant les grandes avenues rémoises.
Cécile Bedel, 23 ans – UNEF
Etudiante en lettres modernes, ayant repris ses études depuis peu, Cécile s’annonce peu optimiste quant à l’avenir du projet de loi Travail. « C’est déjà difficile de trouver un travail… Le gouvernement fait preuve de beaucoup de complaisance, » commente-t-elle, l’air désabusé. Elle qui est descendue dans la rue pour « protester contre ce qu’on va [lui] imposer dans l’avenir » n’a pas de grandes espérances quant à son avenir (elle l’espère) de bibliothécaires, chez qui l’on « supprime beaucoup de postes », croit-elle savoir. L’union, dans cette lutte pour la sauvegarde de l’emploi, ne ferait-elle pas la force ? La manifestation des syndicats le matin même à 10h, séparée donc de celle des étudiants, suggère que ces derniers et l’UNEF n’ont pas optimisé leur capacité de mobilisation. Mais « c’est difficile de se rassembler à chaque fois, » plaide Cécile.
Plus qu’un mécontentement, ce sont les politiques du gouvernement dans leur ensemble qu’elle rejette. Plusieurs des lois précédemment passées par les gouvernements successifs de François Hollande ne sont « pas correctes » ; le projet de loi Travail n’est qu’une incarnation de plus dans la longue série de lois peu satisfaisantes qu’elle évoque. Pourtant, aucun exemple ne lui vient en tête quand on lui demande d’énumérer les projets qui lui ont déplu.
Yamin Ifourah, 18 ans – MJS
Cela fait presque trois ans que Yamin a rejoint le Mouvement des Jeunesses Socialistes. On lui demande, tout naturellement, si ce n’est pas quelque peu contradictoire de battre le pavé pour protester contre un gouvernement qui, théoriquement, est du même bord que l’organisation pour laquelle on milite. Réponse préparée – ou bien improvisée. « Les MJS sont un mouvement autonome et indépendant » débite-t-il d’une voix posée. Sentant que le vernis officiel ne suffira pas à se sortir de cette impasse, il ajoute qu’à choisir, il accorde « plus de fidélité à ses convictions qu’à l’organisation à laquelle il appartient ».
Historiquement, pour lui, le Parti Socialiste est « le parti des travailleurs ». Ce nouveau projet de loi, s’il est adopté, constituerait une « trahison pour tous ceux qui se sont battus ». « Ce qui me débecte, c’est la politique autoritaire menée par Manuel Valls depuis qu’il a été nommé, et même lorsqu’il était ministre de l’Intérieur ». Il a déjà manifesté contre l’état d’urgence, a marché pour s’opposer au projet de loi promouvant la déchéance de nationalité, que le Sénat vient juste de restreindre aux Français binationaux, défaisant ainsi le travail d’amendement des députés.
Charline Briot, 22 ans – JC et PCF
La première chose que l’on remarque chez Charline, c’est le drapeau rouge vif qu’elle serre entre ses mains gantées. Issue d’une famille communiste, elle a elle-même rejoint les Jeunesses Communistes (JC) et le Parti Communiste (PCF) il y a deux ans. Elle est aujourd’hui secrétaire à l’organisation au sein des JC locales. « Le gouvernement a choisi d’être du côté du patronat » tranche-t-elle. « Pourquoi est-ce que ce serait aux jeunes et aux travailleurs de trinquer ? (…) Ici, le rôle des étudiants est de faire peur au gouvernement, car on est l’avenir, les futurs travailleurs ». Et de dénoncer une réforme qui fait d’une large frange de la population active une « main d’œuvre facilement jetable ».
Pourquoi, se demande-t-on une fois de plus, ne pas avoir fait corps avec les syndicats ? La spontanéité du rassemblement rémois semble avoir joué en défaveur d’un potentiel front commun. « Mardi dernier, on [les organisations étudiantes] s’est réuni. Puis la CGT a décidé de soutenir la Maison des Syndicats sans demander notre avis. Il était trop tard, les tracts étaient déjà en train d’être distribués ». Un faux pas qui sera sûrement rectifié à l’occasion des prochaines mobilisations, les 17 et 31 mars prochains.
Basile, 17 ans – Lycéen en terminale ES
Plus timide, Basile est venu accompagné de quelques amis, également au lycée. Il explique ne « pas avoir trop d’infos » qui lui permettrait de parler extensivement de la Loi Travail, mais s’oppose tout de même à son passage. « C’est une perte des acquis sociaux dans leur ensemble. Dans quelques années, c’est nous qui rentrerons sur le marché du travail. On est concernés directement ».
Alexandre Thomas, 20 ans – MJC
« Ce qui nous révolte, c’est que cette loi est un retour sur nos acquis » explique Alexandre tout en brandissant le drapeau des Jeunesses Communistes. Il ne s’arrête pas pour parler – le flot de la manifestation se déplace vers le centre de la ville – et enchaîne : les acquis qu’il évoque, c’est la semaine de 35 heures, les droits « essentiels » des salariés, la possibilité de faire travailler un salarié 12 heures par jour par simple accord patronal, la destruction des 11 heures de repos jusqu’ici requises entre les jours travaillés.
Puis il se fait plus analytique : « Cette loi va créer du chômage. Un employé travaillera davantage et accomplira donc plus, ce qui fera qu’un certains nombres de salariés deviendront superflus pour l’entreprise qui les emploie ». Le rôle des étudiants dans cette levée de boucliers nationale ? « La solidarité avec les salariés, et garantir qu’on puisse trouver un travail à la fin de nos études. On se mobilise pour que la loi corresponde à la population générale, pas seulement aux jeunes ».
Patrice Perret, 65 ans – Solidaires
« Tout le code du travail est remis en cause » s’exclame le militant Solidaires lorsqu’on lui demande ce que la loi Travail lui inspire. « C’est un retour au 19ème siècle, à l’époque où il y avait des gens qui mouraient de leurs conditions de travail. Petit à petit, on a acquis des droits, mais il n’y a jamais eu d’égalité entre patrons et salariés ».
Malgré un optimiste bon enfant, Patrice n’en est plus à son coup d’essai. Syndiqué depuis plus d’une dizaine d’années, il a milité au sein de Sud Rail en 1995. Puis il rejoint la CFDT, et subit une nouvelle déception lors du mouvement contre la réforme des retraites. « La CFDT soutenait le projet. Alors, je suis parti ». C’est encore une mauvaise organisation qui fait qu’il se trouve ici – Solidaires n’a pas ou peu de représentants marnais, il s’est donc rendu aux deux manifestations de la journée par souci d’exhaustivité. Avec toujours le même objectif : « Redresser la barre ».
Lycéens, jeunes salariés, vétérans syndiqués : les centaines de manifestants rémois (plus de 1600 selon la CGT, 750 selon les forces de l’ordre) sont loin de former un groupe homogène. Un front uni se dégage pourtant contre la loi Travail, malgré la mosaïque créée par les syndicats étudiants, les quelques professionnels qui marchent pour la deuxième fois de la journée, les lycéens non encartés et les jeunes actifs sympathisants. Si l’évènement Facebook local se revendiquait non partisan, répondant à un « appel citoyen et militant », les drapeaux rouges et roses, les étiquettes « La France insoumise » se positionnant en faveur de la candidature de Jean-Luc Mélenchon aux élections présidentielles de 2017 démentent cette version. « On fait quoi maintenant ? » s’interroge un participant sur Facebook. « Il faut préparer la suite », lui répond-on. Et ne pas laisser la flamme s’éteindre.
Lille, récit d’une journée de mobilisation
Cela faisait maintenant plusieurs semaines que les syndicats étudiants et professionnels avaient appelé à manifester le mercredi 9 mars. Leur objectif ? Faire entendre leur mécontentement vis-à-vis du projet de réforme du code du travail du gouvernement. Dans toute la France, entre 224 000 (selon le ministère de l’intérieur) et 400 000 personnes (selon le syndicat Unef et Force ouvrière) ont manifesté. A Lille, ils étaient 6 000 à s’être rassemblés sur la place de la République, vers 13 heures, avant d’entamer une marche de près de deux heures dans la ville. Retour sur la journée de mobilisation qui, pour certains, a commencé dès 11h30.
Car une Assemblée Générale organisée par les syndicats étudiants SUD et Unef a eu lieu à Lille 2 et Lille 3. A la faculté de droit (Lille 2), ils étaient une cinquantaine à s’être déplacés afin de clarifier leur revendications et préparer la suite du mouvement. Pendant une heure, chacun a pris la parole, expliquant pourquoi il manifestait, ou proposant de nouveaux moyens d’actions afin de sensibiliser ses camarades et ainsi prolonger le mouvement, en mobilisant toujours plus de personnes.
Ils ont ensuite été rejoints devant le campus Moulins par les sections syndicales de l’IEP de Lille. Ensemble, ils ont brûlé un faux code du travail, en déclament une prière ironique au capitalisme sous l’égide du « pape 40″ – en fait un des membres de la troupe des Doigts d’or. C’est donc une petite centaine de militants qui a ensuite rallié, à pied, la place de la République en scandant « Cours Gattaz on te laisse dix mètres d’avance ».
Une place de la République noire de monde, où l’on pouvait apercevoir les drapeaux de nombreuses organisations syndicales mais aussi de partis. On a vu la CGT Nord et la CGT Pas de Calais qui avaient fait le déplacement mais aussi FSU, les Jeunes Communistes, Solidaires, quelques drapeaux Lutte Ouvrière et Front de gauche.
Une large partie des personnes présentes, étudiantes ou non, était syndiquée ou militante. Vers 13h50, la marche a démarré. Aucun incident n’a eu lieu pendant les deux heures de défilé. Celui-ci est passé devant les lieux emblématiques de la capitale des Flandres, la place de la République, la gare Lille Flandres, puis la Grand Place avant de rallier la rue Solférino, bastion de la vie nocturne lilloise, et de retourner à son point de départ en passant devant le Théâtre Sébastopol. De nombreuses pancartes et bannières ont été réalisées par les manifestants, qui ne manquaient pas d’imagination pour exprimer leur mécontentement. Du côté des slogans, les étudiants est lycéens ont eu aussi l’imagination débordante, entre « C’est quoi un CDI – Demande à tes parents » ou encore « Un pas en avant, trois siècles en arrière, c’est la politique du gouvernement ».
Ainsi, à 16h tout le cortège qui s’étirait sur presque un kilomètre s’est rassemblé à son point de départ avant de se désagréger peu à peu. Mais dans les bouches de chacun, règne une même directive, continuer le mouvement, afin qu’il s’inscrive dans la durée et que ce jour de mobilisation syndicale ne soit pas isolé. Les syndicats étudiants ont donc appelé à une nouvelle mobilisation le jeudi 17 mars.
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