Faut-il ou non légaliser la marijuana ? Alors qu’un nouveau règlement de comptes lié au trafic de marijuana a eu lieu à Marseille samedi 2 avril dernier, en France le débat est relancé. Une polémique complexe qui lie problèmes de commerce (illégal), de santé publique et de société. Mais qui est loin de ne sévir qu’en France ou même en Europe. Les correspondants de Radio Londres se sont interrogés à leur tour sur l’état du débat au Mexique, aux États-Unis et au Canada.
Mexique : un débat officiellement lancé
En janvier dernier, le gouvernement mexicain a ouvert un débat national autour de la légalisation de la marijuana. Ce débat comporte la tenue de cinq forums régionaux qui réunissent des experts nationaux et internationaux ainsi que de simples citoyens mexicains. À l’ordre du jour : la santé publique, les droits humains, les implications économiques et la sécurité.
Après la dernière session, qui aura lieu mercredi 6 avril à Mexico, le pays devrait être prêt à prendre une position claire sur le sujet en vue de sa participation au Sommet des Nations Unies sur les problèmes liés aux drogues, prévu aussi pour avril.
Bien que la question sur la légalisation de la marijuana fasse partie de la réalité mexicaine depuis longtemps, certains évènements portent à croire que le pays est arrivé à un tournant de son histoire.
L’année dernière, Grace Elizalde, une fille de huit ans souffrant des crises d’épilepsie, est devenue la première personne autorisée à suivre un traitement à base de cannabis. C’est ainsi que le Mexique a ouvert la voie pour sa légalisation à des fins médicales.
Quelques semaines après cet évènement, une deuxième décision historique vient intensifier le débat : quatre des cinq juges de la Cour suprême votent en faveur d’un recours déposé par les membres de la Société mexicaine d’autoconsommation responsable et tolérante (SMART). Cet arrêt autorise les quatre plaignants à planter, récolter, transporter et fumer de la marijuana à des fins récréatives. Les réactions ne se sont pas faites attendre : le président Peña Nieto s’est déclaré contre sa légalisation car « la consommation de cette substance nuit au développement des jeunes. »
Il n’est clairement pas le seul à défendre cette position. Contrairement au cannabis médical, auquel une grande partie des mexicains se montre plutôt favorable, son usage à des fins « ludiques » n’est pas vu d’un bon œil par tout le monde.
Mais la question n’est pas du tout simple.
Le Mexique, un des principaux producteurs de marijuana au monde, est aussi un des pays les plus frappés par la violence en Amérique Latine. Depuis la déclaration de guerre aux cartels de la drogue par le président Felipe Calderón en 2006, le nombre de victimes lié au trafic de stupéfiants ne cesse d’augmenter (selon certaines sources, le bilan s’élève à 100 000 morts et plus de 20 000 disparus). Et pour certains, la légalisation de la marijuana pourrait porter un coup dur au crime organisé.
Juan Francisco Torres Landa, avocat mexicain et actuel Secrétaire général de l’organisation « México Unido contra la Delincuencia » (Le Mexique Uni contre la Délinquance), en est convaincu. Membre de la SMART, il est l’une des quatre personnes autorisées à utiliser le cannabis à des fins récréatives, mais sa démarche ne répond pas du tout à un intérêt personnel : il n’est pas un consommateur de marijuana. « Notre objectif est de promouvoir le débat autour de cette question face à l’échec de la guerre contre le trafic de drogues. »
Pour Juan Francisco, l’autorisation accordée par la Cour suprême n’est que le premier pas. « Ça fait partie d’un changement de mentalité. » Il affirme que le progrès en matière de légalisation passe d’abord par l’approbation du cannabis thérapeutique. « Le cas de Grace est une porte d’entrée vers un plus grand débat, mais cela ne suffit pas. »
Il explique que la politique prohibitionniste est très loin d’avoir fonctionné car elle a entraîné des conséquences qui menacent la stabilité des institutions mexicaines. « La richesse des narco-trafiquants provient de la prohibition décrétée par l’État. Ce dernier présume qu’il est possible d’éradiquer complètement les drogues ou la délinquance, mais en réalité, aucune de ces prémisses n’est vraie. » Pour lui, cette stratégie est un échec. Il observe que, malgré l’augmentation du budget consacré à la sécurité publique, les résultats ne sont pas du tout favorables.
Alors, que faire ? Selon l’avocat, il faut trouver une alternative où l’État prenne un rôle régulateur pour « récupérer du terrain », tout en frappant le flux économique des groupes criminels. Il avoue que ces organisations ne vont pas disparaître, mais reste confiant quant à l’efficacité de cette mesure, face à l’escalade de violence provoqué par l’usage de la force armée.
Quant aux conséquences de la légalisation de la marijuana en termes de santé publique, Juan Francisco a aussi son mot à dire. « Toutes les drogues sont nocives, l’objectif n’est pas d’encourager leur consommation. » Pour que le changement soit possible, souligne-t-il, de la responsabilité et du soutien médical sont indispensables. « On doit fournir des outils efficaces aux personnes qui ont des problèmes d’addiction. »
Que peut apprendre le Mexique de l’expérience internationale en matière de drogues ? Depuis que l’Uruguay a légalisé la production et la vente de marijuana en 2013, de nombreuses voix se sont levées pour appeler à faire de même dans plusieurs pays latino-américains. Juan Francisco se montre prudent : « Ce n’est pas si simple ; tous les modèles sont très différents entre eux. »
Il soutient que « le Mexique a besoin d’un cadre régulateur avec lequel les intérêts commerciaux ne se voient pas favorisés. Un modèle comme celui du Colorado, par exemple, n’est pas du tout convenable pour ce pays ».
D’après lui, il faudrait adopter le concept de « Club Social Cannabique », une forme d’association à but non lucratif et où la production et consommation de marijuana répondent strictement aux besoins personnels des membres du groupe. « C’est le modèle présent en Espagne et au Portugal. » La SMART en est aussi un exemple. Avec l’autorisation obtenue l’année dernière, elle est devenue le premier club de ce type dans le pays.
Le devoir de Juan Francisco et ses collègues ne s’arrête pas là. « Il faut renforcer la décision de la Cour suprême. » Leur objectif est d’obtenir au moins quatre décisions similaires et ainsi former une jurisprudence.
« On doit aussi générer un coût politique pour ceux qui diffusent de fausses informations autour de ce sujet. »
Aux États-Unis, des « lois étranges » à Washington
Les Etats-Unis sont dans une position délicate concernant la marijuana : les consommateurs subissent une double-juridiction. Si cette drogue est prohibée au niveau national, toujours jugée illégale par la Cour Suprême, il n’en va pas de même pour les lois fédérales.
Dans une interview donnée à Vice News en mars dernier, le Président Obama a déclaré que si suffisamment d’Etats légalisaient la marijuana, le Congrès serait certainement obligé de revoir sa position nationale. Une décision qui pourrait grandement simplifier les inextricables statuts des fumeurs sur le territoire américain.
La légalisation est en effet une véritable mine d’or : au Colorado, le montant des taxes prélevées s’élève à plus de 135 millions de dollars en 2015. Le total des ventes flirte avec les 997 millions de dollars en un an et rapportait près de 17,2 milliards de dollars à l’économie américaine.
Selon une récente étude publiée révélée vendredi 18 mars par CBS News, la légalisation galopante du cannabis doublerait presque les revenus issus des taxes d’ici quelques années. A l’heure actuelle, au niveau national, le montant total des taxes sur la marijuana s’élève à 24 milliards de dollars. En 2020, il atteindrait les 44 milliards, s’apparentant au chiffre d’affaire d’entreprises comme Fed-Ex, spécialisée dans le transport international de fret, ou encore Lockheed Martin, société américaine de défense et de sécurité. Ces chiffres colossaux séduisent de plus en plus d’Etats.
À l’heure actuelle, si vous fumez au Colorado, en Arkansas, dans l’état de Washington ou dans l’Oregon, vous ne risquez pas d’être inquiété pas les autorités. L’Arkansas, la Georgie ou encore l’Alabama devraient bientôt les rejoindre. La vente de marijuana dite « de récréation » est légale et tombe directement dans les caisses des Etats. Dans une vingtaine d’autres, la possession est autorisée, mais seulement dans le cadre d’un besoin médical. Au contraire, en Alabama ou encore au Connecticut, la possession et la vente sont considérées comme felony, ce qui signifie un crime grave pouvant entraîner peines de prison et lourdes amendes puant s’élever jusqu’à 20 000 dollars. Au Wyoming, la marijuana est toujours illégale, mais s’apparente à un délit qui peut entrainer 1 an de prison et jusqu’à 1000 dollars d’amende cas si le consommateur a moins de 85 grammes en sa possession.
Mais la situation est encore plus complexe si l’on regarde certaines régions bien précises des Etats-Unis : la capitale, Washington D.C. est située au Nord-Est de la Virginie. Pourtant, sa juridiction ne suit pas les lois de l’Etat, mais celles du Disctrict de Columbia.
Dans cette configuration, les fumeurs de marijuana de la George Mason University, un college situé à 30 minutes de DC s’accommodent de deux consignes : celle de Virginie, très à cheval sur l’illégalité de la substance, et celle de Washington, où la possession pour les plus de 21 ans (mais non pas la consommation) est autorisée. Sur le campus, les étudiants américains ont refusé de témoigner sur leur consommation de marijuana. Nous sommes donc allés à la rencontre des étudiants en échange.
Olivier est Néerlandais ; dans son pays, la marijuana est légale, vendue dans des magasins spécialisés. Arriver aux Etats-Unis, fut une expérience surprenante.
“J’ai commencé à fumer quand j’avais 15 ans pendant trois mois, occasionnellement. J’ai recommencé quand j’avais 18 ans parce que dans mon pays c’est légal. Je suis pour la légalisation de la marijuana car je pense que les effets de l’alcool sont beaucoup plus nocifs : quelqu’un qui a trop bu sera toujours plus violent que quelqu’un qui a fumé. Je crois vraiment que la marijuana n’est pas aussi mauvaise pour l’organisme que l’alcool. Pour moi, le seul problème, c’est que ce n’est pas accepté socialement, même aux Pays-Bas. Là-bas, c’est peut-être légal, mais seuls les jeunes consomment. Les plus âgés ignorent tout de la marijuana et ont beaucoup de préjugés. Ici, j’ai fumé, mais je ne le fais plus : les risques et les conséquences sont trop grands. Les lois sont étranges : la Virginie est vraiment dure contre les fumeurs, et DC l’a légalisé. Je pense qu’il ne reste que peu de temps avant que l’Etat ne fasse pareil ; c’est un pas dans la bonne direction. De toute façon, ici, c’est très facile de se procurer de la weed : il suffit de demander aux bonnes personnes dans les frat-parties”.
Myriam, 20 ans, Française, est arrivée aux Etats-Unis en août 2015. Après avoir trouvé un dealer par l’intermédiaire de contacts dans une frat party -ces fêtes organisées par les fraternités de George Mason-, elle a consommé de la marijuana jusqu’en novembre. Dénoncée par un des habitants de son immeuble, Myriam était en procès jusqu’en en février dernier :
“ Je ne peux plus consommer du tout. J’ai passé des journées entières à la cour. Tu as ceux qui n’en ont rien à faire et qui plaident coupable. A ce moment là, ils doivent payer 500$ d’amende et on leur retire le permis pendant six mois. Tu perds ton permis, mais si tu es jeune et que tu fais du community service, tu peux tout de même utiliser ta voiture pour aller en cours et chez le médecin.
En tant qu’étudiante en échange pour moi, c’est différent. Je ne suis pas encore en procès, je suis dans l’étape de la “court”. Tous les gens qui ont le même problème sont là. Si tu as un avocat, il parle au procureur pour construire son argumentation. Après ça le juge t’appelle pour te poser des questions. Évidemment, il vaut mieux se taire, et laisser parler ton avocat. Surtout qu’un avocat coûte très cher : j’ai payé 1800$ au départ auxquels j’ai dû rajouter 300$ à chaque fois que j’allais au tribunal.
J’ai mon test d’urine demain matin, j’ai fait un cours contre le cannabis, du community service… C’est une idée très américaine : quand tu te fais prendre tu dois rendre à la communauté. Tu dois faire par exemple 30 heures de community service. Si tu rends à la communauté et que tu paies dans les 500 dollars, tu peux éviter une plus grosse peine… C’est toi qui choisis ce que tu vas faire. ”
Wallid “Weed”, 20 ans, est Pakistanais. Consommateur dans son pays, il a continué à fumer dans les fêtes américaines, sans toutefois avoir recours à un dealer. Il est partagé sur le débat de la légalisation de la marijuana.
“La légalisation de la marijuana est vraiment un grand débat. Les gens qui veulent fumer fumeront de toute façon, légal ou non. Si vous légalisez, le pays va devenir feignant et ne pas se battre pour ses droits. Les gens descendront sur la mauvaise pente… J’ai fumé, et à d’autres moments non ; je vois la différence. Quand vous fumez, vous n’avez plus de volonté. Vous devenez feignant, vous ne faites plus rien… Je sais que peu de fumeurs partagent mon point de vue parce qu’ils sont accros. Forcément, ils ne veulent pas laisser tomber. Je l’ai vu : mon meilleur ami, au Pakistan, s’est mis à fumer après le décès de son père. Maintenant, il dépense la plupart de son argent là-dedans. Je ne suis pas non plus totalement pour la marijuana médicinale car il me semble que les abus seraient nombreux… Je ne suis pas pour la légalisation, mais pas contre non plus. Je voudrais que l’état légalise la marijuana, mais que les gens ne fument pas en public, en fait. Que tout soit très contrôlé.”
Contre toute assomption, le silence des étudiants américains tient davantage à la peur de la législation actuelle qu’à un tabou dans le pays : selon un sondage réalisé en mars 2016 par Vox et Morning Consult, 59% des Américains souhaiteraient la voir légalisée.
Au Canada, un enjeu constitutionnel
Le Canada est entré d’aplomb dans le débat sociétal autour de la légalisation marijuana lors de la dernière campagne électorale fédérale d’octobre 2015. Le nouveau Premier Ministre élu à l’issue de cette longue campagne, Justin Trudeau, a fait campagne en faveur de la légalisation de la marijuana et entame désormais le processus politique pour faire ce peu. Au-delà du traditionnel débat qui oppose conservatisme et progressisme, cet enjeu majeur soulève d’autres questions qui sont davantage constitutionnelles.
Le Canada est un état fédéral, ce qui implique un gouvernement central (Ottawa) et des gouvernements fédérés (Provinces). Leurs juridictions respectives sont énoncées dans la constitution et chaque gouvernement a l’exclusivité de l’action dans ce qui lui est attribué, ce qu’on appelle communément les champs de compétences.
Pour comprendre la politique canadienne, il y a une expression clé : partage des pouvoirs. Une certaine partie du débat politique au Canada et particulièrement au Québec, est consacré au respect du partage des pouvoirs et parfois même à sa renégociation. Le Canada est en effet un vaste pays qui est sociologiquement très diversifié et où les mentalités varient d’une province à l’autre et même dans une province, d’une région à l’autre. Cette réalité forme un paysage politique à la grandeur du pays très particulier, qui complexifie beaucoup d’enjeux notamment constitutionnels. Chaque gouvernement tend alors à s’assurer de ne pas empiéter sur les compétences de l’autre. L’aspect constitutionnel peut donc devenir rapidement un polarisateur du débat lorsqu’un litige survient entre le gouvernement fédéral et les provinces, où les opposants vont souvent trouver une façon d’en appeler au partage des pouvoir.
La possession et le trafic de marijuana sont tous deux inscrits au code criminel du Canada. Mais le droit criminel est une compétence fédérale, tandis que le droit pénal est une compétence provinciale. Patrick Taillon, professeur de droit à l’université Laval de Québec et spécialiste des questions constitutionnelles explique ainsi que « la criminalisation de certaines drogues relève de la compétence exclusive d’Ottawa et que seul Ottawa peut décider de décriminaliser ou de criminaliser quelque chose ».
La légalisation de la marijuana relèverait donc, en théorie, exclusivement de juridiction fédérale. Seulement voilà, entre la théorie et les faits, il y a souvent deux mondes… Dans les faits, la décriminalisation de la marijuana ne peut pas se faire sans la consultation des provinces car, le jour où elle n’est plus inscrite au code criminel, en tant que drogue, à l’instar du tabac ou de l’alcool elle va relever de la santé et… la santé relève des provinces.
Pour illustrer cette difficulté, Patrick Taillon cite un exemple bien précis concernant l’avortement : celui-ci se pratique par des médecins, dans des hôpitaux, et relève de la compétence des provinces puisque c’est le domaine de la santé.
«Quand on a décriminalisé l’avortement il y avait des provinces plus conservatrices que d’autres, pas très favorables à la libéralisation de l’avortement et où on a limité très fortement, sans interdire, la pratique de l’avortement. Alors une province décidait que ça devait avoir lieu dans hôpitaux autorisés, ce qui empêchait l’ouverture d’une clinique Morgentaler [clinique spécialisées, ndlr]. Monsieur Morgentaler décide alors de contester cette réglementation en disant que c’est une législation déguisée qui n’a rien à voir avec la santé. Eh bien c’est ce qui peut arriver avec la marijuana. Et si le juge conclue que le législateur provincial tente, de manière affichée ou non de s’arroger une compétence fédérale, le juge va lui dire qu’il est en dehors de son champ de compétence ».
Selon lui, avec légalisation de la marijuana nous assistons à la même situation : «Justin Trudeau a promis quelque chose qu’il ne peut pas livrer seul car il a promis non seulement de décriminaliser certaines drogues, ce qu’il peut faire avec une loi du parlement fédéral mais il a également promis sa légalisation or, ce n’est parce qu’on décriminalise quelque chose que ça devient automatiquement légal».
Pour revenir à l’exemple de l’avortement, les provinces se retrouvent à fixer des règles sur la pratique (comment, où, par qui, à qui) et dont les réponses sont des conditions qui relèvent des provinces. Si Justin Trudeau veut tenir sa promesse de légaliser la marijuana et donc, d’en permettre le commerce, il n’a pas le choix de s’entendre avec chaque province, ce qui fait onze gouvernements impliqués. Cependant, cela ne veut pas dire que les modalités de vente doivent être les mêmes d’une province à l’autre, chaque province pourrait légiférer sur l’âge, les droits de ventes, etc.
Question alors légitime : est-ce que les gouvernements provinciaux pourraient faire fi de la décriminalisation et inscrire au code pénal la consommation et le commerce de marijuana pour conserver la situation actuelle ? Oui et non selon Patrick Taillon, car il faut selon lui « faire la distinction entre pénaliser et criminaliser ». Les gouvernements provinciaux peuvent créer des infractions en vertu d’une loi provinciale mais, celles-ci peuvent être contestées devant les tribunaux. S’il est démontré que les infractions qu’on tente de mettre en place ne sont qu’un prétexte détourné pour recréer une forme de criminalisation et que le juge est lui aussi de cet avis, les tribunaux diront à la province qu’elle n’a pas ce pouvoir. « Si les provinces veulent créer des infractions, il faut que ce soit relié à l’application d’une loi provinciale, comme une interdiction dans le cadre de la protection de la jeunesse, la protection de la santé, la sécurité routière, qui sont de juridiction provinciale » explique ainsi Patrick Taillon.
Connaissant la dimension de l’enjeu, on aurait l’impression que c’est une façon pour Ottawa de s’éloigner d’un enjeu sensible en le balançant dans le domaine des provinces et en disant nonchalamment « ce n’est plus de mon ressort ». Les provinces ne peuvent pourtant pas empêcher Ottawa de décriminaliser quelque chose. D’après monsieur Taillon, pour livrer sa promesse Justin Trudeau a tout intérêt de rencontrer les provinces pour voir ce qu’ils peuvent faire ensemble, comment il peut les aider, s’il faut des mesures transitoires, etc.
«Il va sans doute chercher à collaborer avec les provinces mais s’il n’y a pas d’accord, le Canada se retrouvera dans une situation ou Ottawa va décriminaliser et les provinces vont devoir gérer toutes seules le problème, comme ça a été le cas en matière d’avortement ». Il est un éternel débat au Canada sur le partage des compétences qui sera toujours au premier plan, peu importe l’importance de l’enjeu dont on discute : la souveraineté des provinces dans leurs juridictions sera toujours le point numéro 1 d’un débat politique.
Ce débat technique dont on vient de parler pourrait-il alors supplanter le débat traditionnel conservatisme moral versus progressisme moral ? Patrick Taillon ne se risque pas à faire une telle prédiction mais il assure que « la dimension constitutionnelle du partage des pouvoirs peut devenir un excellent prétexte pour combattre cette promesse ». Il se questionne toutefois si le candidat Justin Trudeau de l’époque avait conscience des difficultés et des obstacles juridiques que cela impliquerait. Justin Trudeau aurait d’ailleurs très bien pu proposer la décriminalisation simple. Mais il a promis quelque chose qui allait bien au-delà de ce qu’Ottawa peut faire. Il a peut-être un peu mésestimé l’ampleur du dossier.
Cependant une chose est sûre : les opposants à la légalisation de la marijuana auront leurs arguments sur l’axe gauche-droite mais ils auront aussi des arguments sur le partage des compétences. Il y a encore bien des débats au pays avant que la légalisation de la marijuana soit conclue au Canada.
Par Alexandra Saviana aux États-Unis, Pamela Bazan au Mexique et Pierre Michel au Canada
Extraordinario artículo, felicidades
Complet, clair, bref très bien fait