Connaissez-vous vraiment le Népal ? Il n’y a que des bouddhistes perchés sur l’Himalaya ? Eh non. Concrètement, c’est une histoire complexe et une république qui peine à s’affirmer. En France, la vie semble dure, mais comment vit-on à 25 ans dans un pays aussi instable que le Népal ? Chirag, 24 ans, a la réponse. Portrait.
Mais juste avant, afin de pallier le silence médiatique et historique sur le Népal, reposons les bases.
PNC aux portes, armement des toboggans, vérification de la porte opposée
Chirag, s’il n’a pas été choisi par hasard, est un homme à l’histoire tourmentée. Son père décède donc alors qu’il n’a que deux ans. Sa mère le descend de son petit village natal jusqu’à Katmandou, pour le confier à une association française. Fondée en 1993 par Hélène Boyer-Julien, Médic Népal soutient et accompagne des enfants jusqu’à leur insertion professionnelle. Ce qu’elle fit pour le tout jeune Chirag.
Impossible de le savoir sur le coup, mais sa vie, bien mal commencée en dépit de son appartenance à une caste élevée, va prendre un tout autre tournant. À ce moment là, sa mère ne lui offre pas la survie, elle lui offre une vie que peu de jeunes Népalais ont la chance d’avoir.
Aujourd’hui, nous avons en face de nous un jeune homme qui est instituteur. Il officie à la Asmita English School, établissement où il y a quelques années, il était à la place de ses élèves. Entre temps, celui dont le prénom rappelle fortement le cinquième Président de la Ve République française, a décroché un bachelor de comptabilité en Inde. Il était alors « assez grand pour être autonome et commencer à travailler », confie-t-il.
Malgré le sourire qu’il arbore sans cesse, Chirag vit encore des moments difficiles. Suite au décès de sa mère et en signe de deuil, le jeune homme a les cheveux courts. Trente jours qu’elle n’est plus. Il conserve néanmoins dans un coin de sa tête son ambition initiale : devenir expert comptable. Pourtant aujourd’hui, nous avons affaire à un guide touristique. Nous le suivons dans le dédale des rues de Patan, totalement émerveillés par le cœur historique de cette ville au sud de la capitale. Chirag, d’une immense gentillesse, prend le temps pour nous montrer tous les incontournables de la cité, mais pas que. Grâce à lui, nous quittons les sentiers touristiques pour découvrir des perles. Il nous fait pénétrer dans des habitations qui nous dévoilent dans leurs cours intérieures des temples « privés ». Insoupçonnable de l’extérieur. Les rues minuscules, sales et malodorantes recèlent bien des trésors. D’un coup, sans prévenir, la gifle. La boue, les mendiants et le bruit des odeurs.
Cette atmosphère fait tristement écho à la misère architecturale que connaît le Durbar square, le centre historique de Patan. Les monuments datant du XVIIe siècle n’ont pas fait dans l’originalité en mai dernier et furent, eux aussi, submergés par le séisme. Temples détruits. Colonnes et statues devenues de simples tas de gravats. D’ailleurs, presque une dizaine de victimes ont été à déplorer sur ce site. Chirag, lui, fut épargné. « Je me rendais sur mon lieu de travail en scooter, je me suis arrêté. » Il se souvient également, ému : « Mon scooter est tombé, et là, j’ai vu tout le monde autour de moi qui fuyait, ils étaient tous apeurés. » Mais le plus dur était à venir. Et pour cause, il lui était impossible de dormir sous son propre toit, sa maison risquant de s’effondrer. Pendant plus d’une semaine, en période où les moustiques pullulent, il dut se résoudre à quitter son domicile pour des bus, des camps militaires, mais aussi la rue.
Les coups durs successifs, cette mer déchaînée qu’est le quotidien et l’urgence humanitaire qu’a connu le Népal pourraient éveiller en la jeunesse certaines velléités politiques ; et pourtant. C’est la résignation qui semble dominer. Celle-ci est commune à quasiment toutes les générations. La guerre civile, qui a fait tomber la monarchie, nous semblait pourtant bénéfique, or Chirag est très clair : « Le passage à la République doit être vu comme une bonne chose, certes, mais le changement n’est pas du tout celui qu’il aurait dû être. C’est encore insuffisant. » Constat similaire pour un chauffeur de taxi. Entre une dizaine de coups de klaxon et une bonne quinzaine d’accidents évités, il nous assure que, au Népal, tout est basé sur la corruption. En passant devant le quartier général de l’armée, il va même jusqu’à nous murmurer que c’est le « quartier général de la corruption. » Au moins, c’est clair.
« Ici, nous vivons pour nous, grâce à nous et on se fout de la politique. »
Sur le plan politique, bien que présente, la France se fait relativement discrète. Yves Carmona, l’ambassadeur de France au Népal, nous explique que c’est un choix délibéré. Paris, qui possède tout de même le troisième réseau diplomatique mondial, a sciemment laissé agir les Nations Unies dans l’évolution politique népalaise et dans le processus de paix, encore inachevé aujourd’hui. Pragmatique, Monsieur Carmona insiste : « Il est très difficile d’interférer avec la politique intérieure ici et nous nous en gardons. »
Chirag, à l’instar de la diplomatie hexagonale, se garde bien de participer à la politique intérieure. « Ici, nous vivons pour nous, grâce à nous et on se fout de la politique. » Le jeune instituteur affirme que s’intéresser à la politique n’est qu’une perte de temps. Il nous rappelle au passage qu’il y a bien une constitution, mais qu’elle est trop frêle. « 70% de la population népalaise est en faveur de la constitution, seule la région du Terai – au sud du pays, à la frontière avec l’Inde – la conteste », analyse-t-il. Le problème, c’est que l’Inde souhaite qu’elle soit revisitée… Elle le sera donc sûrement. Chirag déplore que « les grands pays brutalisent les petits ».
À la question, « est-ce réellement éprouvant de vivre dans un pays instable politiquement ? », le « oui » est catégorique. Pour lui, le plus désolant, c’est que les lois sont éphémères. « Celles d’aujourd’hui changeront demain, et celles de demain tomberont après demain. C’est usant. » Naufrage incessant des législations.
La fatigue est malheureusement un mot qui revient assez fréquemment. C’est par ce terme que Chirag caractérise le blocus. Pendant cinq mois, les prix ont subi un raz-de-marée. Chirag payait dix fois plus cher qu’à son habitude, par exemple 700 roupies le litre d’essence (presque six euros). C’est, selon lui, une raison de plus de ne pas croire en la politique. Confrontés à une telle réalité, une réalité si crue, on ne peut pas s’étonner de ce raisonnement.
« J’aimerais être un businessman. »
Pour notre guide d’un jour, la résignation politique n’est pas synonyme d’un avenir morose, bien au contraire. « J’aimerais être un businessman », nous lâche-t-il, le regard chargé de détermination. Il a pour projet d’exporter des produits népalais à l’étranger.
L’étranger revient d’ailleurs assez fréquemment dans la conversation. Rêve de voyager en Europe et ambition de travailler en Occident. Pourquoi ? « Car le Népal, c’est un endroit où l’on vit sereinement et en sécurité, mais en comparaison avec ce que l’on gagne et les niveaux de vie des gens, ce n’est pas le pays idéal. » Sur ce constat, la visite de Patan se termine.
Avant de se quitter, le jeune enseignant nous confie également qu’il a l’intention de louer son appartement pour quelques dollars à des étrangers qui ne souhaiteraient pas rester dans des hôtels. Se demandant si cela est réalisable, nous lui apprenons le concept de Airbnb. Il sent déjà les dollars arriver. Plein d’idées et d’envies, ce futur homme d’affaires.
Et même si pour Chirag, il est trop tard pour réaliser sa scolarité en France, certains Népalais pourront peut-être en avoir la chance. L’ambassade de France finance de temps en temps des bourses. D’ailleurs, certains bénéficiaires se trouvent peut-être en ce moment même dans la cour de la Asmita English School. Allez savoir.
Mathieu Fageot et Lucas Scaltritti
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