Comme chaque année, le pays aztèque a fêté l’anniversaire de son indépendance la nuit du 15 septembre. Alors que le Zócalo se remplissait de personnes désireuses de crier « Vive le Mexique ! », plusieurs milliers de citoyens ont essayé de conquérir – en vain – la place centrale au cri de « Basta! » : pendant la mobilisation, les manifestants ont exigé la démission du président Peña Nieto, dont la popularité ne cesse de baisser (selon un sondage du journal Reforma publié en août, elle serait tombée à 23%). Le compte à rebours vers l’élection présidentielle de 2018 a commencé et cette crise politique ne restera pas sans conséquences. Comment en est-on arrivé là ?
En remportant l’élection présidentielle en 2012, Enrique Peña Nieto – alors candidat du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) – incarnait le retour d’un parti hégémonique au pouvoir. Depuis sa fondation en 1929, le PRI a instauré un régime autoritaire qui a duré sept décennies, avant l’arrivée du PAN (Parti action national, droite sociale-chrétienne) au gouvernement en 2000. Conscient de ce passé quelque peu totalitaire, il se vantait de représenter le « nouveau PRI » ; une aspiration unificatrice et un esprit réformateur semblaient cimenter le cœur de sa campagne. Après sa prise de fonction, son parti signerait un « pacte national » avec l’opposition. Ensuite, il annoncerait des réformes structurelles pour « faire bouger le Mexique. » Mexico’s moment était en marche. Mais cette promesse ne ferait pas long feu. Le bilan du président mexicain, au pouvoir depuis quatre ans, contient des dossiers très épineux.
Le cas Iguala ou la crise des droits humains
Cela fait déjà deux ans que les étudiants de l’École Normale Rurale d’Ayotzinapa ont disparu. Bien qu’une centaine de personnes aient été interpellées, de nombreuses questions restent sans réponse. La « vérité historique » présentée par le gouvernement de Peña Nieto s’est effondrée face à un rapport publié par des chercheurs indépendants. Ce document a mis en évidence les négligences commises par l’État pendant l’enquête officielle et a nié la thèse principale de celui-ci, selon laquelle les corps des 43 étudiants auraient été incinérés.
Erika Guevara, directrice du programme Amériques d’Amnesty International, a déclaré :
« La réaction des autorités à la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa et à l’exécution extrajudiciaire de trois personnes est une illustration tragique de la méthode privilégiée par Enrique Peña Nieto en matière de droits humains : cacher ou ignorer les faits, et espérer que les accusations finissent par tomber dans l’oubli. »
L’Organisation des Nations Unies a également dénoncé cette crise et a assuré que la torture restait une pratique généralisée au Mexique :
« Des policiers et des militaires recourent régulièrement à la torture afin de punir des détenus dans le cadre de la prétendue guerre contre la drogue, de leur arracher des “aveux” ou des informations. Souvent, les victimes sont forcées de signer des déclarations sous la torture et sont reconnues coupables dans de nombreux cas sur la base de ces seuls documents. »
Le gouvernement mexicain, à travers le ministère des Relations extérieures, a refusé les recommandations des organismes internationaux sous prétexte que, selon eux, « leurs conclusions ne correspondent pas à la réalité ».
« La maison blanche d’Enrique Peña Nieto »
C’est le titre d’un reportage publié par l’équipe de la journaliste Carmen Aristegui en novembre 2014, quelques semaines après la disparition des étudiants. Ce travail a révélé que le président et la première dame, Angélica Rivera, avaient acquis une résidence à Mexico d’une valeur estimée autour de sept millions de dollars. Le ministre des Finances, Luis Videgaray, s’est retrouvé dans une situation similaire. Le problème ? Les maisons appartenaient à une entreprise qui a remporté un appel d’offre pour une construction ferroviaire, un projet qui promettait d’être un des plus grands succès du gouvernement fédéral, mais qui serait annulé ensuite. Cette firme a également bénéficié de contrats alors que Peña Nieto était gouverneur de l’État de Mexico.
Après ce scandale, le président mexicain a désigné Virgilio Andrade comme le responsable d’une enquête autour des luxueuses demeures. Ce fonctionnaire a nié d’emblée l’existence d’un conflit d’intérêts, en alléguant que les maisons avaient été acquises avant leur prise de fonction. L’opinion publique est restée sceptique face à ce verdict, considéré comme une exonération anticipée et motivée par les liens d’amitié entre Andrade et Videgaray.
En juillet 2016, Peña Nieto a annoncé la création d’un Système National contre la Corruption. Dans le cadre de cette réforme, il a évoqué la polémique entourant la « maison blanche » et s’est adressé aux Mexicains : « Même si j’ai agi en toute légalité, cette erreur a affecté ma famille et a dégradé la confiance dans le gouvernement. Je vous demande pardon pour l’indignation provoquée par cette affaire. »
L’évasion de « El Chapo »
Joaquín Guzmán Loera, « le plus puissant narcotrafiquant au monde », a été capturé pour la première fois en 1993 au Guatemala. Pendant le gouvernement de Vicente Fox en 2001, il s’échappe d’une prison de sécurité maximale.
Ce n’est qu’après treize ans de chasse que Guzmán Loera est revenu derrière les barreaux. Le 22 février 2014, « El Chapo » a été capturé par les autorités mexicaines. Le mandat d’Enrique Peña Nieto avait le vent en poupe. Après l’annonce de ses projets pour l’éducation et l’énergie, le « président réformateur » se voulait le garant de la lutte contre le crime organisé. Il a alors déclaré qu’une « nouvelle évasion serait impardonnable ». Mais l’inconcevable est arrivé.
Le 11 juillet 2015, Guzmán Loera s’est à nouveau évadé de prison. Pour ce faire, il s’est introduit dans un tunnel – long de 1,5 km – par un trou creusé dans sa cellule. Puis il l’a parcouru à l’aide d’une moto fixée à des rails qui menaient à un immeuble en cours de construction. Une stratégie qui ne laisse aucune place à l’improvisation. Pour les Mexicains, il semblait évident que le narcotrafiquant avait bénéficié de complicités à l’intérieur de la prison. La réalisation d’un tel « chef d’œuvre d’ingénierie » en toute discrétion aurait été impossible. Une nouvelle recherche a été lancée.
Le 8 janvier 2016, Enrique Peña Nieto annonçait sur son compte Twitter : « Mission accomplie. Je veux informer les Mexicains que Joaquín Guzmán Loera a été arrêté. » Inutile de tirer orgueil de cette prouesse. Les autorités mexicaines avaient été incapables d’éviter l’évasion et l’opinion publique de penser que « personne ne peut écarter la possibilité d’une nouvelle fuite ».
Un scandale de plagiat
Le 21 août, Carmen Aristegui a de nouveau fait irruption sur la scène politique mexicaine. Dans un reportage intitulé « Peña Nieto, de plagiador a presidente » (Peña Nieto, de plagiaire à président), elle publie une enquête affirmant que la thèse du président mexicain – qui lui a permis d’obtenir sa licence de droit – contient 28% de textes plagiés.
Cette affaire a bouleversé l’opinion publique mexicaine et les comparaisons ne se sont pas faites attendre. En 2011, Karl Theodor zu Guttenberg (ministre de la Défense allemand), en 2012, Pál Schmitt (président de la Hongrie) et en 2013, Anette Schavan (ministre de l’Éducation allemande) ; tous ont démissionné après des accusations de plagiat. En revanche, Peña Nieto a déclaré qu’il s’agissait ici d’une « erreur méthodologique ». Ces déclarations ont fait la une des médias mexicains, mais ce dossier a également trouvé sa place dans la presse internationale, ce qui n’a fait qu’attiser la polémique.
Trump au Mexique
Le gouvernement mexicain a annoncé, le soir du 30 août 2016, une réunion entre le président et le candidat républicain à la présidence des États-Unis, Donald Trump. « Il y a quelques jours, le président Peña Nieto a invité les deux candidats à la présidentielle américaine pour dialoguer sur la relation bilatérale entre le Mexique et les États-Unis. » Mais seul l’homme qui « a passé un an à se moquer du Mexique » a répondu.
« Quand le Mexique nous envoie des gens, il ne nous envoie pas les meilleurs. Il envoie des gens avec des tas de problèmes. Ils viennent avec de la drogue, ils amènent de la criminalité, ce sont des violeurs. » Ces mots sont ceux de Donald Trump, prononcés lors de l’annonce de sa candidature, le 16 juin 2015. Des paroles toujours ancrées dans l’esprit des Mexicains.
En mars dernier, Enrique Peña Nieto a considéré ce discours comme une « rhétorique stridente » et a déclaré que « c’est la façon dont Mussolini et Hitler sont arrivés au pouvoir ». Les Mexicains ne comprenaient donc pas le pourquoi de l’invitation. Le 31 août, le candidat républicain s’est rendu à Mexico. Après une réunion privée, le président mexicain et Donald Trump ont parlé devant les médias. Lors des interventions que la presse mexicaine a considéré comme « tièdes » et « molles », Peña Nieto a affirmé que les commentaires de l’homme d’affaires avaient subi de « mauvaises interprétations ». « Des malentendus » a-t-il précisé. La prestation du président n’a pas plu aux Mexicains. Sur les réseaux sociaux, des millions d’entre eux ont manifesté leur indignation et ont dit se sentir « humiliés ». Pour eux, la visite de Donald Trump n’avait fait que légitimer son discours haineux. Selon Luis Videgaray (ministre des Finances), en revanche, l’invitation au candidat républicain a été « courageuse et intelligente ».
Cet évènement a eu des conséquences politiques majeures aux deux côtés de la frontière. Une fois rentré aux États-Unis, Trump a insisté de nouveau sur sa volonté de construire un mur entre les deux pays. Le président mexicain en avait parlé peu après la réunion : « Au début de la conversation, j’ai clairement indiqué que le Mexique ne paierait pas le mur. » Mais lors d’un meeting dans l’Arizona, l’homme d’affaires a déclaré, d’un ton moqueur : « Le Mexique paiera le mur, croyez-moi, à 100%. Ils ne le savent pas encore, mais ils paieront le mur. » (sic)
Trump avait le contrôle du discours, les mots de Peña Nieto avaient été dépassés. En une semaine, il était remonté dans les sondages. Pour Hillary Clinton, le voyage du candidat républicain à Mexico a été un « incident international honteux ».
Au Mexique, les partis de l’opposition ont traité Peña Nieto d’« idiot » et d’« incompétent ». Le journal Reforma a identifié le ministre des Finances, Luis Videgaray, comme le promoteur de cette visite. Il a également révélé que Claudia Ruiz Massieu, la ministre des Relations extérieures, s’y opposait. Mais la décision était déjà prise, et « l’homme fort » du gouvernement de Peña Nieto devait maintenant affronter les conséquences. Mercredi 7 septembre, il a présenté sa démission. « Un fiasco qui plonge le président Peña Nieto dans la plus grave crise de son mandat », selon Le Monde.
En effet, la démission de Luis Videgaray porte un coup dur au parti du président en vue de la course électorale de 2018. Les chances de trouver un candidat qui permette au PRI de rester au pouvoir diminuent – la constitution ne permettant pas la réélection du président sortant. La réforme de l’éducation, un de ses projets les plus « prometteurs » du mandat de Nieto, a du mal à s’implanter. Aurelio Nuño, ministre de l’Éducation, et Miguel A. Osorio Chong, ministre de l’Intérieur, ont des difficultés à trouver un accord avec les enseignants opposés au nouveau modèle. Les interventions policières pendant les mobilisations ont déclenché un conflit devenant chaque fois plus violent.
Les partis de l’opposition semblent alors y voir plus clair. Chez le PAN, plusieurs dirigeants se sentent prêts à lancer une campagne pour récupérer la présidence. Les sondages placent l’ex-première dame Margarita Zavala en tête pour la candidature du parti conservateur. À gauche, le PRD (Parti de la révolution démocratique), bien que devant faire face à de nombreuses divisions internes, a manifesté son soutien à Miguel Ángel Mancera, l’actuel maire de Mexico, mais n’écarte pas la possibilité de construire une alliance avec le PAN.
Cette course présidentielle sera assurément différente des précédentes. En 2018, la scène politique accueillera de nouveaux venus. D’un côté, le parti qui se dit le représentant de « la vraie gauche » : Morena (Mouvement de régénération nationale) fondé en 2014 par Andrés Manuel López Obrador, ancien candidat du PRD à la présidence mexicaine en 2006 et 2012. Il est convaincu que « la troisième fois sera la bonne ». De l’autre, les candidats indépendants, qui affirment que « les Mexicains en ont assez des partis politiques ». Parmi eux se trouve notamment Jorge Castañeda, ancien ministre des Relations extérieures pendant le mandat de Vicente Fox. De son côté, Margarita Zavala n’a pas nié la possibilité d’une candidature indépendante. Une dérive qui peut permettre aux concurrents de se détacher du passé, et qui menace surtout le système politique traditionnel mexicain.
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