Réfugié n.m « Personne ayant quitté son pays d’origine pour des raisons politiques, religieuses ou raciales, et ne bénéficiant pas, dans le pays où elle réside, du même statut que les populations autochtones, dont elle n’a pas acquis la nationalité. »
Art n.m : « Création d’objets ou de mises en scène spécifiques destinées à produire chez l’homme un état particulier de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique. »
Difficile d’imaginer la communion de ces deux termes, de faire le lien entre ces deux thèmes à priori antinomiques de l’actualité contemporaine. S’il est d’usage d’évoquer ces derniers séparément, rares sont les projecteurs se braquant sur la pratique artistique des réfugiés.
Catharsis, expression, identité, sauvegarde du patrimoine…nombreuses sont les raisons pour des exilés de prendre les pinceaux. C’est au détour d’une galerie que nous avons fait la connaissance d’artistes impliqués auprès des réfugiés et de chercheurs touchés par la place de l’art dans la vie des réfugiés ; ces acteurs de la « société civile » diffusent leurs combats en Europe mais s’engagent à des milliers de km des frontières françaises au sein de camps comme celui de Beddawi au Liban ou Zaatari en Jordanie.
Peindre le quotidien: le Street-art du camp de Zaatari
Sous le programme AptART (Awarness and prevention trough ART) HERAKUT, un couple d’artiste allemand, a passé trois semaines dans le camp syrien de Zaatari afin de « colorer » le quotidien de ces individus. Contrastant avec la grisaille des cloisons en préfabriqué ont vu le jour d’immenses peintures murales : l’apparition du Street-art dans un camp de réfugié. Les deux artistes ont d’ailleurs demandé la participation des jeunes syriens, qui ont pris part avec grand plaisir à ce changement tellement insolite, inhabituel.
« En passant devant ce mur les enfants ont le sourire, ils oublient où ils sont le temps d’un instant » [1] tels sont les mots d’HERAKUT. A leur retour en Allemagne les deux artistes, afin de partager leur expérience ont monté une exposition à Francfort : photos, peinture et travaux réalisés avec les enfants étaient réunis afin de sensibiliser le public allemand et plus généralement européen aux conditions de vie de ces réfugiés.
« Nous ne cherchons pas à « déprimer » mais plutôt amener la réflexion sur ce que l’on peut faire ou ne pas faire (…) surtout se dire que tout es encore possible. Tant que les petits riront, rien n’est encore perdu ». Au-delà de cette initiative, l’art se présente ─ du jeune âge jusqu’à la maturité ─ comme une histoire de vie, la possibilité d’un parcours à écrire, à peindre en dehors du camp.
Les histoires peintes du camp de Beddawi
« La peinture, même le dessin, c’est un art qui aime expliquer les problèmes aux peuples ; sinon ce n’est pas de l’art. Les difficultés pour vivre, la position économique, la pauvreté… […] Donc les peintres, ils doivent s’interroger sur les problèmes qu’ils rencontrent. Pour moi, quel est le problème le plus important ? C’est le problème de la Palestine. […] Comment me demander d’oublier le problème principal de ma vie ? Je pense que tu as vu que je pleure lorsque je parle de comment j’ai quitté la Palestine. Comment me demander de quitter et d’oublier mon pays ? » [2]
Lorsque Mr Buhran prononce ces mots, il est au Liban, à 2026 km de chez lui, Galilée en Palestine. Car depuis la séparation de la Palestine en deux Etats en 1947, plus de 438 000 réfugiés palestiniens ont rejoint le Liban ; terre d’accueil et d’asile. Plus de la moitié de ces réfugiés habite au sein de camps, douze camps officiels établis par l’ONU. C’est à l’intérieur de ces espaces en marge que des hommes, des femmes et enfants tentent de penser leur avenir, d’échapper à ce quotidien étouffant d’expatrié. C’est non loin de Tripoli, dans le camp de Beddawi que Monsieur Burhan, Nizar, Iman et Samir trouvent un refuge tout particulier : le monde de l’art. Si pour les sociétés occidentales l’art est parfois considéré comme « inutile » et l’artiste marginalisé, elle apparait à Beddawi comme un remède, une échappatoire à la condition de réfugié politique.
Ce trait d’union entre l’art et les réfugiés on le doit en partie à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) qui depuis 10 ans maintenant est en charge de l’établissement de camps de réfugiés et de leur fonctionnement. Quel rapport ? L’UNRWA construit des écoles et y dispense des cours de pratiques artistiques. Ce que l’on pourrait considérer comme de « l’art thérapie » se présente comme une véritable catharsis pour les élèves. Ils expriment sur papier leur mal-être, leurs angoisses, détournant leur violence vers leurs toiles et non plus contre eux-mêmes. D’autres au contraire esquisseront des mondes irréels et pacifiques. L’art est devenu pour ces enfants une bouée à laquelle se raccrocher pour sortir la tête de l’eau.
Sortir la tête, quelques enfants de Beddawi y sont arrivés en devenant artistes. Après avoir suivi les cours dispensés par l’UNRWA Nizar, Yosof et Samir âgés d’une trentaine d’année aujourd’hui, sont entrés à l’Institut Technique de Tripoli puis aux Beaux-arts. Mais pour ces enfants de Beddawi, peindre ne devenait pas un moyen de subsistance car pour Nizar comme pour les autres « les Palestiniens n’ont pas assez d’argent pour acheter des tableaux », l’art n’était plus non plus un moyen d’extériorisation, non, c’était devenu un outil de diffusion. Prendre les pinceaux et non les armes, tel pourrait être le leitmotiv de Nizar.
« Tout le temps je dessine et je peins à propos de ma cause. Et quand je te parle de ma cause, je ne parle pas seulement de la cause nationale, Intifadas et bombes et tout ça, non, pas seulement ça. Comme un être humain. […] J’essaie toujours de les rendre plus individuels, quelquefois personnels. Ces peintures sont toutes originaires d’une expérience personnelle. Je pense que l’artiste peint toujours quelque chose qu’il a vécu ou senti, tu vois. ». (Nizar 32 ans)
Enfants, ils ont peint leur quotidien, adultes leur quotidien est devenu la peinture. Nizar, Yossof et Samir sont devenus professeurs d’art plastique auprès de l’UNRWA et exposent leurs toiles en Europe (Belgique notamment). Le langage de l’art est un langage international qui, à travers l’histoire, a permis aux individus, aux artistes, de témoigner de leur situation. Pour ces hommes être artiste c’est surtout exister, dépasser cette condition de réfugié.
De l’art comme catharsis à l’art identitaire
L’un des défis majeurs pour les personnes réfugiées est la sauvegarde de leur identité d’origine, bien souvent gommée voire niée au sein des pays d’accueil. Différentes organisations humanitaires et membres de la société civile ont à cœur de « colorer » le quotidien des réfugiés tout en protégeant leur culture originelle. Tel est l’engagement d’A.R.T (Art for Refugees in Transition), qui depuis plus de 10 ans promeut l’éducation artistique auprès des réfugiés (en Egypte, Thaïlande, Colombie etc.) et sauvegarde la spécificité culturelle des réfugiés ; souvent marginalisés pour leurs différences culturelles et ethniques, les réfugiés se conforment petit à petit aux traditions de leur pays d’accueil, au détriment de leur culture d’origine.
Par le biais d’A.R.T, les adultes sont encouragés à partager leur culture artistique avec les enfants : à travers la danse, le chant, la musique et la peinture, les liens se renforcent, les sourires grandissent sur les joues des enfants et la culture propre aux réfugiés est préservée. « A.R.T intervient auprès de groupes de réfugiés en développant un programme spécifique pour chaque art autochtone et les aider à rétablir les relations intergénérationnelles enracinées dans leur propre culture » (description de l’ONG sur leur site internet).
L’expérience unique d’HERAKUT, l’engagement d’A.R.T, la communauté d’artistes de Beddawi, tous ces exemples convergent vers un seul et même but : alléger le quotidien de ces réfugiés. Farder leurs rues pour égayer leur passage, leur faire pratiquer l’art pour décharger leur colère et rancœurs ou bien se souvenir, tout simplement, de leur culture natale. Car le costume d’exilé est lourd à porter comme l’écrivait Joachim Du Bellay dans Les Regrets
« Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? »
Revoir un jour l’«Heimat», le foyer natal, tel est le souhait le plus cher d’un réfugié, qui à travers un tableau, une danse folklorique, un chant traditionnel… conserve avec lui une partie de son pays.
[1] http://creative.arte.tv/fr/episode/herakut-en-jordanie-du-street-art-dans-le-camp-de-refugies-de-zaatari
[2] A partir de l’étude d’Amanda S. A. Dias, «Des artistes au camp de Beddawi », Cultures & Conflits, 68 | 2007, 149-164.
0 Comments