9 novembre 2016. Défiant tous les pronostics, sondagiers ou journalistiques, Donald Trump est élu 45e président des États-Unis. Nous avons cherché à savoir quelles réactions son élection suscitait à travers le monde. Témoignages d’anonymes en Argentine, au Viêt Nam, en Colombie, au Mexique, au Liban et au Canada.
Argentine : « Élire une femme, c’en aurait été trop pour eux »
L’élection de Donald Trump a été une surprise, voire un électrochoc dans le monde. J’ai suivi l’élection en direct d’Argentine et la douche froide a été instantanée. Quelques semaines plus tard, j’ai interrogé les Argentins pour connaître leur point de vue quant à cette élection au pays des Yanquis [Yankees], comme ils aiment à les appeler.
Miguel Avila est le directeur de la Librairie d’Avila, l’une des plus vieilles du monde. Cet intellectuel et homme de lettre nous accueille dans son bureau pour partager son point de vue sur la question. Pour lui, l’élection de Donald Trump n’est autre que la suite logique d’éléments s’étant enchaînés les uns après les autres et ayant conduit à se résultat. Il estime que Donald Trump, à lui seul, ne va rien changer et n’hésite pas à se remémorer l’histoire des gringos, en affirmant que « tous les présidents des États-Unis ont plus ou moins reproduits les mêmes choses. Ils se sont toujours imposés au monde, que ce soit au Viêtnam ou au Moyen Orient. Le seul qui a voulu changer la donne, c’était Kennedy. Et il s’est fait assassiner. » Selon Miguel, le président des États-Unis n’a que peu d’influence directe sur son pays et sur le reste du monde et que le choix des Américains en faveur de tel ou tel candidat « n’aurait rien changé ». « Les vrais influents du monde sont les banques, les institutions et les grandes entreprises, ce sont elles qui décident des règles du jeu mondiales », complète-t-il. « Ils contrôlent tout, comme les Espagnols l’ont fait lorsqu’ils sont arrivés en Amérique », conclue-t-il, non sans un brin de malice dans le regard.
Ignacio, Olivia et Sergio sont tous trois étudiants en cinéma. Lorsque je les rencontre à la sortie des cours, je les questionne sur le même sujet. Ils sourient timidement, m’avouant avoir peur d’avoir une réponse trop évasive. « Je ne pourrais pas dire en profondeur ce que l’élection de Donald Trump pourrait avoir comme impact, si ce n’est que je pense que c’est un homme dangereux, notamment en ce qui concerne son projet de mur entre les États-Unis et le Mexique », me confie Ignacio. Alors que je les encourage à me livrer plus de détails sur leur point de vue, Sergio prend la parole et ajoute que pour lui, le problème est une « conséquence économique d’une situation globale », tout en confirmant que le choix des électeurs américains l’a surpris : « c’est un homme raciste et misogyne ». Olivia quant à elle écoute d’une oreille distraite mais conclue tout de même qu’elle « ne pense pas que l’élection de Trump ait un impact direct sur l’Argentine ». Ses deux compagnons restent sceptiques et ajoutent qu’il faudra attendre quelques mois afin de constater « l’effet Trump » sur leur pays et dans le monde.
Roberto Victor Moreno est professeur universitaire et fonctionnaire au sein du ministère de la Santé. Il a également déjà travaillé au sein des ministères de l’Économie et de l’Intérieur. Il affirme s’intéresser depuis toujours à la politique et me livre, chez lui, autour d’un maté, sa réaction suite à l’élection de Donald Trump. « Je doit bien avouer que je n’ai pas cru une seule seconde qu’Hillary Clinton serait élue. Les Américains sont misogynes. Élire une femme, c’en aurait été trop pour eux (après le mandat d’un président noir). Mais avant tout, je crois que son élection est due à une conséquence de nombreux faits qui se sont enchaînés dans le monde, à commencer par la crise économique ». Roberto ajoute qu’il pense que cette élection est « le fruit d’un phénomène global et que le peuple américain recherche, comme au sein de nombreux autres pays [dont l’Argentine], un gouvernement nationaliste, populiste et protectionniste. Ils ont peur pour leur argent ». Lui non plus ne pense pas que Trump – l’homme – ne soit capable de grandes transformations au sein des États-Unis, ni du monde. Et quand je lui demande ce qu’il pense des rumeurs laissant supposer que Donald Trump et Mauricio Macri (l’actuel président argentin) aient déjà convenu d’un accord de construction d’une tour d’affaires en plein centre de Buenos Aires, Roberto n’a pour réaction qu’un éclat de rire (jaune), laissant présupposer sa réponse…
Mélissa POLLET-VILLARD, à Buenos Aires
Viêt Nam : « On verra, du moment qu’il n’y a pas d’impact négatif sur notre économie »
La réaction pragmatique, voire banale, des vietnamiens vis-à-vis de la victoire de Donald Trump contraste fortement avec la réaction de la plupart des pays occidentaux.
Les Vietnamiens ont toujours été un peuple pragmatique, ne jouant pas forcement sur le registre des émotions mais plus sur celui de la réalité et des faits. C’est donc avec une certaine logique que les Vietnamiens interrogés sur le résultat de l’élection présidentielle ne se disent pas choqués : en réalité, l’évènement Trump en lui-même est pour eux un non-évènement. Le processus, la personnification de l’élection et les polémiques ne sont pas leurs principales préoccupations. Beaucoup de personnes interrogées déclarent ne pas s’intéresser à la politique, ce qui ne les empêche toutefois pas d’avoir une bonne analyse de la situation.
L’attente
Le sentiment qui domine ici est plus l’attente. Trung, conducteur de taxi de 44 ans, résume bien la situation de la sorte : « Avec Clinton, cela aurait été la même chose qu’avec Obama, mais avec Trump, ce sera une suprise. » La réaction est partagée par de nombreuses autres personnes. Une victoire de Clinton se serait inscrit dans la continuité et donc aurait permis le maintien du statu quo. En revanche, la victoire de Trump va bouleverser la politique économique et internationale des États-Unis et c’est cela le sujet qui préoccupe le plus les Vietnamiens.
Un impact sur l’économie ?
L’un des exemples est la présence d’universités américaines sur le territoire et la victoire d’Hillary, encore une fois aurait permis la conservation du même élan : « J’aime beaucoup la relation économique que nous avons avec les États-Unis, particulièrement les universités que nous avons ici », nous dit Tao, étudiante de 22 ans. De plus en plus de Vietnamiens poursuivent en effet leurs études dans des universités internationales, souvent dans leur pays mais parfois à l’étranger.
D’un point de vue purement économique, les États-Unis jouent un rôle de plus en plus crucial dans le développement du Vietnam. Après la reprise des liens diplomatiques, de nombreux partenariats sont mis en place pour favoriser l’installation d’entreprises américaines sur place. C’est pourquoi certains Vietnamiens comme Duc, ingénieur de 26 ans sont inquiets de l’impact économique qui pourrait se produire : « Trump pourrait menacer le TPP (Trans-Pacific Partnership Agreement) et sans doute notre politique d’exportation. »
Toutefois, beaucoup sont optimistes comme Tien, graphic designer de 27 ans : « L’élection peut nous toucher de deux façons : d’une part, cela rendra sans doute l’immigration vers les États-Unis plus difficile, mais d’un autre côté, parce que Trump est un businessman, cela pourrait être une bonne nouvelle d’un point de vue économique. » ; ou bien comme Kong, développeur informatique de 24 ans : « Je pense que c’est bien parce qu’il est dans les affaires et que nous avons besoin de cela. Pour moi, son élection signifie avant tout plus de choix concernant les entreprises avec lesquelles on travaille et, je l’espère, de meilleurs salaires. »
Le président Trump
Concernant la personnalité de Trump, ses remarques racistes et sexistes, elles sont uniquement évoquées ar les femmes interrogées. C’est à la fois une déception comme pour Tien, qui affirme qu’elle était « triste quand il a gagné », mais aussi un rejet de son statut de président et de celui de sa femme. Tien ajoute : « Je ne peux pas l’imaginer président. La façon dont il traite les femmes et les minorités est dégoûtante. Je ne peux pas non plus imaginer sa femme, c’est une mannequin et elle n’a pas de diplôme. Michelle Obama faisait partie du peuple, mais ce n’est visiblement pas le cas de Mme Trump. »
Pour autant, la crainte et le rejet ne sont pas dans l’ensemble aussi importants que dans les pays occidentaux. La réaction anti-Trump est plutôt vécue ici comme une déception, mais ce rejet est lui-même seulement abordé par des femmes, reflétant sans doute l’un des enjeux qui a fait pencher la balance au cours de cette élection américaine : le vote des femmes.
Léo BERNARD, à Hô-Chi-Minh-Ville
Mexique : « Le Mexique doit repenser ses affaires étrangères »
Souvent teintés de résignation et de désillusion, les Mexicains semblent les premiers concernés par l’élection de Donald Trump. Ramenant souvent l’évènement à la politique de leur pays, trois d’entre eux nous livrent leur ressenti.
Luis est avocat. Il se dit très intéressé par la politique internationale car « on vit dans un monde globalisé et au Mexique, on ne peut pas ignorer ce qui se passe ailleurs dans la planète ». Ceci est particulièrement important lorsqu’on parle des États-Unis, précise-t-il : « On a des relations très importantes avec ce pays, elles sont cruciales pour notre économie ». Luis n’a pas suivi de très près la campagne présidentielle de Donald Trump et Hillary Clinton, mais il considère que cette élection lui a permis d’analyser les campagnes politiques de son pays : « Je crois que les campagnes des deux candidats ont été très pauvres, ils n’ont pas proposé beaucoup de choses et on a fait attention seulement aux attaques que l’un lançait contre l’autre. C’est la forme dont les campagnes électorales se déroulent ici au Mexique. »
Que dire du discours de Donald Trump, selon lequel les migrants mexicains sont des « violeurs et des criminels » ? « Il parle sans connaître assez autour de ce sujet. Je crois qu’il ignore que la migration joue un rôle très important dans nos relations bilatérales. » Quant aux propos obscènes envers les femmes, Luis dit que « ces déclarations mettent en évidence sa vraie personnalité, c’est un homme qui ne connaît pas le respect. Il est quelqu’un de superficiel, de peu sérieux et d’arrogant. »
Il évoque ensuite son ressenti le soir de l’élection : « Quand j’ai vu que Trump était en tête, j’ai été déçu et désillusionné. Je crois que Clinton était une très bonne candidate, surtout parce qu’elle connaît très bien les liens de son pays avec le nôtre. » Pour l’avocat, ce sont les électeurs indécis qui ont permis au républicain d’être élu. « Je crois que finalement, les gens qui n’étaient pas certains de leur vote ont choisi Trump parce qu’ils ne sont plus satisfaits de la politique de Barack Obama. » Luis considère que les propositions les plus polémiques de sa campagne, comme la construction d’un mur frontalier payé par le Mexique, ne sont qu’une stratégie de discours. « Il se trouvera dans une situation complètement différente quand il assumera la présidence. »
Selon lui, le président mexicain a également pris une mauvaise décision en invitant Donald Trump à Mexico car « à ce moment-là, il y avait une forte haine des Mexicains envers lui. Aussi, Enrique Peña Nieto aurait mieux fait de prendre une position plus ferme face à Trump et à propos de ses déclarations contre les Mexicains. »
Après la victoire de Donald Trump, « le Mexique doit repenser ses affaires étrangères, surtout en ce qui concerne l’économie et la migration, même si ce dernier n’est pas un sujet nouveau pour aucun des deux pays », déclare-t-il. Trump devra-t-il faire marche arrière avec ses engagements de campagne maintenant qu’il sera président des États-Unis ? « Bien sûr. Il oublie que toute mesure drastique peut aussi affecter les États-Unis, et non seulement le Mexique. »
Fernando est étudiant en licence d’économie. Il est originaire de l’État du Chiapas, situé au sud du Mexique. Cet État est frontalier avec le Guatemala et constitue un des points de passage principaux de migrants en provenance d’Amérique centrale vers les États-Unis. Pour cette raison, il se dit particulièrement sensibilisé à ce sujet, les migrants ayant été une cible récurrente des déclarations de Trump pendant sa campagne. « Je crois qu’il a fait une généralisation dangereuse en les qualifiant de criminels. La majorité d’entre eux ne veulent que trouver un emploi pour augmenter la qualité de leur vie et celle de leurs familles. Ils doivent faire face à beaucoup de difficultés pour y arriver. »
Concernant le président élu, « il manque de personnalité », affirme Fernando. « En utilisant un discours raciste et misogyne, c’est évident qu’il est incapable de diriger un pays comme les États-Unis. » Il dit avoir suivi de très près la nuit électorale et il n’est pas resté indifférent à l’écart croissant entre les deux candidats. « C’était intéressant et effrayant à la fois. Je voyais le peso se dévaluer à chaque État où Trump l’emportait. Il y a eu un moment où j’ai cru que Clinton pouvait se relever, mais j’ai été surpris quand cela n’a pas été le cas. »
Pour cet étudiant, c’est le système électoral qui est derrière la victoire de Trump, car « si on prend en compte le vote populaire, c’est la démocrate qui l’a emporté ». Mais celui-ci n’est pas le seul facteur ayant nui à la candidate démocrate, selon Fernando : « Il faut aussi que le scrutin se déroule le weekend, pour que plus de gens y participent. » Il considère que les engagements de campagne du républicain, surtout la renégociation du traité de libre échange ou la sortie des États-Unis de cet accord ne répondent pas à une analyse prudente. « Son orgueil le rend aveugle. Il ne se rend pas compte des possibles conséquences de ses décisions et il me semble qu’il ignore l’importance commerciale du Mexique pour les États-Unis. Toute modification à l’accord doit être soigneusement étudiée. »
Fernando trouve que l’invitation faite à Trump par le président Peña Nieto a été une décision prise à la légère, mais il ne nie pas son importance diplomatique. « Je crois que le président devait avant tout s’assurer que les deux candidats acceptaient l’invitation, mais c’est vrai que Peña Nieto a pensé à cette visite comme une opportunité de dialogue autour du futur des relations bilatérales. C’est vraiment très important pour tous les Mexicains. »
Yesmín est entrepreneuse. Elle dit sentir une forte antipathie envers Donald Trump. « C’est quelqu’un d’immoral. Il a un complexe de supériorité. » Cette femme, qui connaît très bien le monde des affaires, attribue la victoire du républicain à une stratégie de marché réussie. « Trump est un homme d’affaires et c’est de cette façon dont il a agi en politique. Il a étudié chaque groupe de la population et en a repéré les besoins. » Et d’ajouter : « Il a cherché à créer des liens effectifs avec les électeurs, surtout avec des gens racistes, dans un pays où ce phénomène est déjà implanté dans la vie quotidienne. »
Mais pour Yesmín, ce ne sont pas ces capacités qui lui permettront de gouverner avec succès : « Gérer une entreprise n’est pas la même chose que diriger un pays. » Elle se sert d’un exemple pour le préciser. « Au Mexique, nous avons eu Vicente Fox – ancien président de Coca-Cola au Mexique – comme président de la République, mais c’était son épouse, Marta Sahagún, qui tenait vraiment les rennes du pays. »
Comme la majorité des Mexicains, elle se dit surprise face au triomphe de Donald Trump. « Je ne l’attendais pas, j’étais vraiment très inquiète pour les Mexicains qui se trouvent aux États-Unis, je ne ressentais qu’une très grande incertitude. Tout le monde le sait, quoi qu’il arrive là-bas, les effets se font aussi sentir au Mexique. » Elle désapprouve également avec fermeté la visite de Trump après l’invitation du président mexicain, de même que les interventions de Peña Nieto devant la presse, où il a affirmé que les déclarations du républicain à propos des Mexicains avaient subi de « mauvaises interprétations ».
Alors, quelle position le gouvernement mexicain doit-il assumer ? « Le Mexique doit avoir un dirigeant qui ne permette pas aucune insulte envers ses citoyens. »
Pamela BAZAN, à Mexico
En Colombie, la diaspora sera la plus affectée
Le président colombien libéral Juan Manuel Santos, malgré un clair soutien à Hillary Clinton, a affirmé que les relations entre la Colombie et les États-Unis se feraient de plus en plus profondes, même après la victoire de Trump. Les deux pays entretiennent en effet des bonnes relations diplomatiques, basées en partie sur l’ingérence de l’Oncle Sam en Colombie en matière de lutte contre le narcotrafic et les guérillas marxistes, telles que les FARC.
Pour la population colombienne, qui attend une issue effective à une guerre civile qui semble ne plus en finir, l’élection de Trump est secondaire, comme le fait remarquer Walter, dessinateur industriel de 30 ans vivant à quarante kilomètres de Bogota. « Les Colombiens ont d’autres choses en tête en ce moment. Et même pour les problèmes qui les concernent directement, ils ont montré par l’abstention qu’ils ne se sentent pas vraiment concernés », évoquant le plébiscite du 2 octobre dernier.
En réalité, les Colombiens les plus affectés par cette élection seront les 1,5 à 2 millions de Colombiens résidant aux États-Unis, notamment en Floride, en Illinois et à New-York, ainsi que leurs proches : « il était déjà compliqué de visiter les États-Unis, ça va devenir tout bonnement impossible », lance Walter, ironique. Mais sinon, le jeune homme n’envisage pas un changement radical de la situation. Et s’il préférait Hillary Clinton « notamment parce que c’était une femme », le résultat est le même. « Le président est une marionnette. Ce sera la même situation, en pire. Les États-Unis vont continuer à profiter de l’extraction de nos ressources naturelles, à contrôler l’aspect militaire à travers les bases qu’ils ont ici, et l’économie à travers la forte implantation de leurs entreprises. »
Pour Oscar, croisé à Carthagène, Trump n’est définitivement pas « la personne la plus adéquate pour diriger un pays aussi puissant que les États-Unis ». Ce commercial de 33 ans se dit « en colère » par le résultat du scrutin, en particulier en raison de la « latinophobie » du nouveau président élu. « Il n’aime pas les Colombiens, et encore moins les Mexicains. Il a un problème avec les latinos parce que beaucoup d’entre eux vont chercher du travail aux États-Unis. Je pense que cette élection va voir un impact négatif pour les communautés colombiennes établies aux États-Unis, et pour l’Amérique Latine en général. Sa concurrente, au moins, était clean. »
German, commerçant et originaire de Carthagène également, explique qu’il est sorti de ses gonds en apprenant « la nouvelle ». « Ma réaction ? Fucking shit, I don’t like it ». Pour German, cette nouvelle aura des répercussion pour les Colombiens. « Pas pour moi directement, mais pour les Colombiens en général, et surtout ceux qui se trouvent là-bas. S’ils ne sont pas renvoyés en Colombie, les Colombiens ne pourront plus se rendre là-bas. En Colombie, ce sont les modifications des traités bilatéraux qui vont avoir un impact. »
Pour lui, Clinton était la meilleure candidate « car elle était une femme. Les femmes sont plus correctes. Mais il faudrait que les femmes elles-mêmes ne votent pas contre leurs intérêts. » Idem pour tous les « Cubains, Mexicains et latinos des États-Unis, qui ont voté pour Trump ! », s’exclame -t-il.
Modification des relations bilatérales ou retour des Colombiens expatriés ne sont que des hypothèses pour le moment, dans un pays qui exporte la majorité de ses produits vers les États-Unis, comme le souligne German : « Qu’il respecte tous ses engagements, qu’il fasse construire le mur et déporte 11 millions d’immigrés comme il l’a annoncé, on verra par la suite… »
Lucie BARRAS, à Carthagène
Trump, l’homme de la rupture au Moyen-Orient ?
L’élection de Donald Trump à la Maison Blanche a amené son lot d’incertitudes. Malgré des indices laissés ici et là au fil de tweets et de propos défiant toute orthodoxie diplomatique, un gros point d’interrogation demeure sur sa politique étrangère, notamment celle qu’il entend mener au Moyen-Orient.
« Je n’étais certainement pas pour Trump, mais en y réfléchissant je n’étais pas pour Clinton non plus », affirme Leah, étudiante libanaise. Une indécision partagée par Marwan, ingénieur : « Malgré tout ce que Trump a pu dire, il n’y aura pas de changements radicaux dans la politique américaine vis-à-vis du Moyen-Orient. Mais au moins, avec Trump, on a un nouvel interlocuteur. » Selon lui, rien ne peut prouver que l’élection d’Hillary Clinton, sur le plan extérieur, aurait été préférable à celle de M. Trump. L’arrivée du magnat de l’immobilier à la Maison Blanche pourrait même renouveler l’élite au pouvoir, une élite moins expérimentée politiquement : l’occasion pour les pays du Golfe de renégocier les partenariats diplomatiques à leur avantage, de replacer leurs pions sur l’échiquier. Cette renégociation aurait été impossible avec une Clinton présidente, car son passé en tant que secrétaire d’État (de 2009 à 2013) la tient pieds et poings liés, l’obligeant à une certaine cohérence vis-à-vis de ses positions passées.
« Jusqu’ici la politique étrangère des États-Unis a toujours été tournées vers les intérêts israéliens », explique Leah, mais Donald Trump ayant montré pendant la campagne une certaine neutralité vis-à-vis de la région, elle espère « qu’il pourra changer cette tendance ». Même si les grandes lignes de la politique étrangère des États-Unis ne vont sûrement pas changer, « plusieurs élites arabes (…) voient d’un bon œil cette rupture avec les politiques d’Obama, jugées catastrophiques, n’ayant ni mis fin au conflit syrien ni avancé au niveau de la lutte contre le terrorisme », précise Sami Nader, analyste politique, selon des propos recueillis par L’Orient-Le Jour.
Car c’est notamment sur le dossier syrien que le nouveau président élu est attendu au tournant. « À en juger par les déclarations (…) du président Vladimir Poutine, les russes semblent optimistes de trouver un terrain d’entente avec le nouveau président (Trump). Ce qui peut augurer d’une certaine avancée dans le dossier syrien », déclare à L’Orient-Le Jour Élias Abou Assi, secrétaire général du Parti national libéral. Donald Trump s’est d’ailleurs contenté de remarquer que le président syrien Bachar al-Assad n’était pas une personnalité recommandable, mais qu’aux côtés de la Russie, il combattait le terrorisme. Une rhétorique bien différente de celle adoptée jusqu’ici par Washington. « Trump place en priorité absolue la lutte contre le terrorisme, en Syrie et ailleurs », explique Leah. Et les propos isolationnistes du nouveau président américain ne trompent personne. « Les États-Unis ne peuvent de toute manière pas exister en étant repliés sur eux-mêmes », dit Marwan.
En parallèle, au Liban, l’élection présidentielle suscite également des espoirs sur l’avancée de la question syrienne. Ce 31 octobre dernier, Michel Aoun, ex-général chrétien allié du Hezbollah chiite, est élu président de la République libanaise. S’alliant au parti sunnite afin d’obtenir le nombre de voix nécessaires au Parlement, il s’est ainsi engagé à nommer Saad Hariri, chef de file des sunnites, Premier ministre du nouveau gouvernement libanais. Une alliance entre chrétiens, sunnites et chiites au Liban qui laisserait entrevoir la possibilité d’un accord sur la position à adopter face au conflit syrien, dans ce pays considéré comme première ligne de front dans la lutte contre le djihadisme.
Ainsi, avec d’un côté le rapprochement russo-américain, et de l’autre un compromis gouvernemental au Liban, « c’est peut-être l’occasion d’une issue au conflit syrien », espère Leah. « De toute manière, des deux côtés, on ne peut plus supporter les coûts qu’impliquent ce conflit », ajoute Marwan. Selon lui, les pays ne peuvent plus suivre le rythme des sommes investies dans le conflit et les différents partis vont jouer la carte du réalisme. « Je m’attends à ce que ce président (Trump) soit pragmatique, étant avant tout un homme d’affaires », confirme Sami Nader.
Camille SCHMITT, à Beyrouth
Un mois après l’élection, le Canada se raconte
À l’image d’un grand nombre de pays, le Canada était sous le choc le soir de l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. Les mots les plus utilisés par les Canadiens sur les réseaux sociaux étaient « déçu », « choqué », « dégoûté ». Des adjectifs qui dépeignent une image uniformément anti-Trump. Pourtant, 13% des Canadiens auraient voté pour Donald Trump à l’élection américain s’ils y avaient été éligibles… Radio Londres a rencontré deux Canadiens, deux Québécois, dont les vues s’opposent au sujet du futur président. Loin de représenter la variété d’un pays si étendu qu’il baigne dans deux océans différents, ces deux portraits invitent pourtant à repenser le stéréotype selon lequel le Canada est le pays où le libéralisme économique et social règne en maître.
Louis-François a, comme la majorité des Canadiens, suivi l’élection américaine. Passionné de sociologie et engagé à « La Riposte socialiste », un groupe socialiste universitaire, il éprouve un intérêt tout particulier pour la politique américaine. Pour autant, le résultat l’a surpris. « On le voyait venir pendant la soirée même, mais bon… Malgré tous les espoirs qu’on plaçait en Obama en ce qui concerne notamment le racisme et la question sociale en générale, ce rêve est mort. » Pour lui, c’est la classe ouvrière qui s’est retrouvée « tannée » du statu quo et des politiques néo-libérales du gouvernement américain.
Il hésite un peu, choisi ses mots avec précision. « J’ai passé la soirée avec ma gang et une bière. Certains avaient une analyse assez… simpliste, et ne l’avaient vraiment pas vu venir. » Il rit, un peu gêné. « Le premier truc que les gens disaient, c’était que les Américains ne sont “quand même pas assez stupides pour élire ce gars-là”… ». La victoire de Trump, il l’attribue à un « élément de classe ». « J’imagine que [les mesures protectionnistes du programme de Trump], ça parlait à des gens qui ont perdu leur emploi à cause de coupures visant à exploiter d’autres gens ailleurs… »
Louis-François ne cache pas sa position socialiste, et le rôle de la classe sociale est pour lui primordial dans cette élection. « Depuis l’anti-communisme du 20e siècle qui a perverti la société américaine et surtout la classe ouvrière, ce sentiment s’est transmis de génération en génération. » Il ajoute que la société lui paraît un peu plus ouverte aujourd’hui. « Les jeunes sont plus féconds aux idées socialistes ; d’ailleurs, « socialisme » était l’un des mots les plus cherchés par les Américains pendant la campagne », semble-t-il se réjouir. « Il faut commencer avec eux et déconstruire les mythes attachés à la gauche, essayer d’apprendre des leçons d’exemples comme mai 68 ou la grève générale de 1972 au Québec. »
Selon Montreal Gazette, un quotidien montréalais, le Canada n’est pas épargné par la vague populiste qui a précédé l’élection en Europe et qui a conduit Trump à la Maison Blanche. Au Québec, 20 à 25 groupes comprenant chacun entre 15 et 100 membres ont été identifiés comme des groupes d’extrême-droite visant les communautés aborigènes, juives, immigrantes, musulmanes et LGBTQ.
« Une montée de la droite dure peut tout à fait arriver au Canada, bien sûr », s’exclame Louis-François. Il estime que le Québec pourrait être « touché » d’ici cinq ou dix ans, peut-être moins. « Si on continue avec des mesures d’austérité, qu’on met moins d’argent dans l’éducation et la santé, on va contribuer à la radicalisation », conclut-il. Ce qu’il ressent envers Trump et son programme ? « Du dégoût », essentiellement. « Ça fait peur, je n’aimerais pas être musulman – ou pire, une femme musulmane – en ce moment aux États-Unis ». Il reconnaît qu’il ne peut pas se glisser dans leur peau, mais que « n’importe quelle minorité ne doit pas être à l’aise ». « Rôdent autour de Trump beaucoup de personnalités qui sont homophobes et réactionnaires », grimace-t-il.
On en arrive à la plaisanterie récurrente depuis l’élection : le bug technique du site d’Immigration Canada pendant la soirée électorale, dû à un trop grand nombre de connexions simultanées. Louis-François sourit et nous assure qu’ils conseilleraient aux Américains qui voudraient immigrer de « rester chez eux, de travailler à améliorer leurs conditions de vie et de préparer une offensive sociale contre le programme de Trump ». Il faut pour lui ne pas hésiter à « descendre dans la rue, manifester, préparer un programme de riposte socialiste ». L’esprit de solidarité avec le peuple américain – et plus particulièrement avec la classe moyenne – est clef, souligne-t-il.
« Donald Trump est un homme très intelligent. » Voilà les premiers mots de Katerina à propos du nouveau président américain. Pour elle, il se préoccupe réellement du peuple américain et l’a montré à travers ses actes. « Un jour, il a construit gratuitement une patinoire à Central Park pour les enfants new-yorkais », raconte-t-elle.
La nuit de l’élection a été unique pour Katerina. « J’ai commencé à Reggie’s [le bar de Concordia], et j’étais la seule supportrice de Trump », rit-elle. « Quand j’applaudissais, les autres étaient tristes, et vice versa… Ensuite, je suis allée chez ma famille et mon copain est venu, on a regardé, on a bu. C’était incroyable. » Si elle était résignée à ce qu’Hillary Clinton l’emporte, Katerina avait « l’impression qu’une majorité silencieuse ne s’exprimait pas. On le voit beaucoup aux États-Unis, où les médias diabolisent l’idéologie conservatrice et où ces gens se sentent presque lépreux quand ils expriment ces opinions. […] Quand les États-pivots sont passés au rouge, c’était extraordinaire ».
Son rejet de la bureaucratie, son expérience et son « succès » en tant que businessman, son côté outsider au sein de la politique bien rodée de Washington sont autant de qualités que Katerina trouve au nouveau résident du Bureau ovale. La polémique sur le sexisme de Trump l’amuse. « L’idée d’« attraper cette femme par la chatte », c’était une blague ! Il a été très respectueux envers la femme en question après ».
« Je pense que je me sens proche de Trump parce que je hais ce que Trudeau représente », analyse-t-elle. « Je trouve que son parti et Justin Trudeau lui-même sont comiques, sur la scène internationale. Il n’a pas de cran ».
« Je ne pense pas que Trudeau fasse passer le Canada avant tout », avance-t-elle. Sa diction est précise, elle hésite très peu et semble très au fait des évolutions politiques des deux pays voisins. « Trudeau a dit qu’il allait diminuer les restrictions sur les visas accordés aux Mexicains », soupire-t-elle. Selon elle, ce serait un problème dans quelques années, alors que de nombreux Canadiens se préoccupent de la situation actuelle.
Économiquement, la présidence de Trump pourrait « aider le Canada » en ce qui concerne l’énergie. Par contre, les prix à la consommation pourraient selon elle augmenter, ce qui conduiraient des Canadiens à déménager vers le Sud – un mouvement qui défie la majorité des points de vue exprimés par les médias canadiens aujourd’hui.
« Au Canada, la culture est très ouverte – trop, peut-être », commente Katerina. « Je ne suis pas surprise qu’être anti-Trump soit très Canadien, il n’incarne pas vraiment les valeurs canadiennes mais plutôt américaines. Il parle fort, il est riche et réussit dans la vie, il incarne le rêve américain », s’amuse-t-elle.
Katerina avoue ne pas comprendre le fait que les gens n’aiment pas l’élu. Pour elle, c’est « hyperbolique » de le comparer à Hitler comme cela a été fait. « Hitler déportait des Juifs qui étaient citoyens allemands ; Trump veut déporter des immigrants illégaux », ajoute-t-elle lorsqu’on l’interroge sur le parallèle troublant de l’emploi du mot « déportation ». La question du racisme est pour elle exagérée, trop soulignée et manipulée par les politiques occidentaux. « On peut avoir des politiques qui s’opposent à certains groupes sans être fondés sur le critère de la race mais sur la sécurité, la protection des citoyens. » Rien à craindre si l’on à rien à cacher.
Interrogée sur la question du « small government », c’est-à-dire le refoulement de l’État-providence en dehors de la sphère privée, elle hoche vigoureusement la tête. « Je suis légalement aveugle », dit-elle en pointant du doigt son œil. « Mais je ne voudrais pas que s’occuper de moi soit le rôle de l’Etat. J’ai une vision d’une communauté forte ; je me préoccupe de mon copain, de mes amis, de ma famille et de leurs familles. » Pour elle, le conservatisme représente l’individualisme, la compétition et l’effort. Ceux qui ne travaillent pas ne devraient pas forcément recevoir « une éducation secondaire ou des bénéfices sociaux ».
Pour elle, l’Occident s’engage dans cette direction. « Les gens commencent à voir les désavantages du libéralisme et à vouloir s’en débarrasser. » Elle comprend les désirs nationalistes des groupes d’extrême-droite québécois, même si la séparation ne lui apparaît pas comme la solution.
Et de conclure, un peu ironique : « Les médias sont très libéraux. Les éditeurs-en-chef du journal de Concordia pour lequel je travaille sont surpris que j’exprime autant mes vues politiques… » Une fois son diplôme obtenu, elle pense à travailler sur YouTube ou pour un média conservateur nord-américain. « Si on m’offrait un poste à Fox News, je déménagerais aux États-Unis, bien sûr », exprime-t-elle, rêveuse.
Marion LEFÈVRE, à Montréal
0 Comments